Je m'présente, j'm'appelle pas Henri
J'suis pas chanteur mais mercenaire
Y'a deux ans, j'étais en Bosnie
Du coté serbe pour faire la guerre
D'puis qu'y perdent j'lutte plus encore contre
Le mensonge, l'imposture, l'hypocrisie,
et finalement, la mystification.
Vous aussi vous
connaissez VAQUETTE ? C'est
bien ce qu'il fait.
Je vais encore
vous faire une révélation, vous m'êtes
sympathiques ce soir. Vous vomissez le vice - moi,
par exemple ... si, si - mais vous ignorez tout de la vertu.
Arrêtés par la peur, vos crimes sont comme
vous, horriblement mesquins. Des saloperies quotidiennes
illustrées par un "oh!
excuse-moi, je l'ai pas fait exprès",
ou un "d'toutes façons,
il l'a bien cherché", jusqu'à
l'assassinat d'un VAN GOGH
ou de trois cents mille irakiens, vous attaquez toujours
de dos, quand le risque apparaît nul; tandis que moi,
moi, cloué au pilori et honni à jamais, je
déclamerai LACENAIRE:
"Mon âme fut ferme et franche en ses atrocités",
puis SADE: "Foutredieu!
me voilà au point où je me voulais, me voilà
couvert d'opprobre et d'infamie, laissez-moi, laissez-moi,
il faut que je décharge", avant que de sourire,
serein.
Allez, je vais
vous faire une dernière révélation:
si c'est ainsi que les hommes vivent, je préfère
crever le flingue au poing. Si c'est ainsi que les hommes
vivent...
J'veux pas d'vos vies obéissantes
Sans Valeur, sans excès, sans quête
De vos p'tites joies, d'vos p'tits soucis
J'veux êt' grand et beau, comme VAQUETTE
J'veux pas d'une vie triste et conforme
D'un travail, d'une famille, de copains, de renoncement,
toujours, et d'une absence totale de courage, de volonté,
de grand désir, et de haute ambition.
Je ne veux rien,
je ne veux rien de vos vies prévisibles et normales.
Je veux pas me lever le matin pour gagner du poignon de
peur de crever de faim - "
Oh! mais
pour qui tu t'prends? Même
Jean-Jacques Goldman se
lève le matin!" Je ne veux pas d'une
vie de famille poussé par la peur misérable
de la solitude. Y a-t-il une plus immonde vulgarité
que de vouloir se survivre à tra-vers ses nains,
si ce n'est, peut-être, le sourire béa et faussement
gêné de la maman si fière de contempler
son chiard qui couine dans un lieu public ?
Je ne veux pas
de ces relations grégaires et indifférentes
que vous appelez des amis, dictées par la peur seule
de passer, et tout d'abord à vos yeux propres, pour
un handicapé social. Ah! que je m'aime, que
je m'aime, lorsque odieux, méprisant et hautain,
je feins d'oublier les mensonges, les
compromis, les silences et les bavardages, cette faculté
d'adaptation qui n'est jamais rien d'autre que le reniement
de soi, tous ces atours plaisants qui font la vie sociale,
et qui, seuls, rendent un homme sympathique.
Je ne veux pas
de vos renoncements constants, toujours guidés par
cette même peur. "T'as raison,
ça s'rait bien, mais c'est pas possible... on n'y
peut rien... puis, d'toutes façons, y'a pire ailleurs".
Pourquoi renverser le ty-ran, puisqu'il est le plus fort
? Parce qu'il est le tyran, bien sûr; mais surtout,
surtout, parce qu'il est le plus fort.
Et puis, cette
peur constante de la mort qu'à chaque instant vous
affi-chez, ça, ça ça me fait frémir,
comme si la brièveté de la vie n'était
pas tout son charme, son essence en tous cas. Allez va,
petite fille, bénis-moi, je suis trop bon, d'une
bonté qui sans doute te perdra. Grâce à
moi, ta vie va gagner en valeur: trois francs, le prix d'une
balle - six francs, pardon: elle bougeait encore.
Et au coeur
de cette mer de néant, quelques récifs de
misère: "Capitaine, capitaine,
qu'est c'que tu fais c'week-end? à bâbord"
; "Capitaine, capitaine, qu'est
c'que tu fais pour les vacances? à tribord"
; avant que d'accoster au port, si le bateau pourri est
pas coulé avant: "Terre,
terre, c'est la r'traite!" - "J'suis
vieux, impotent, paraplégique, sénile, et
aveugle: j'peux plus rien faire!". Ta gueule, connard,
avant, tu ne faisais rien non plus. Seulement, maintenant,
tu as juste plus de temps pour t'en apercevoir. Allez va!
si c'est ainsi que les hommes vivent, je préfère
crever le flingue au poing. Si c'est ainsi que les hommes
vivent...
Et sur mon cadavre criblé d'balles
Mon papa viendra pas pleurer
L'aura honte de son fils fasciste
Lui qui m'a pourtant bien élevé
Dans le respect des idées d'gauche
Modérées, bourgeoises, droitdlhommiennes,
humanistes... bourgeoises, bourgeoises surtout.
Le fascisme, papa,
c'est tout, c'est tout sauf ça. Le fascisme c'est,
stric-tement, l'homme au service de l'état. C'est
exactement le contraire de mon
individualisme
libertaire qui prétend préserver la meilleur
part de l'homme, sa valeur,
contre
les hommes, en troupeau,
et leur
totalitarisme niveleur - c'est beau, hein?
Mon ennemi,
c'est pas les fascistes, ou les communistes, ou les croates,
mon ennemi, c'est les braves gens normaux qui, comme toi,
prudents et raisonnables, ne seront jamais des saints, et
jamais des grands criminels, et qui, jamais, n'aspirent
à l'absolu.
Vous n'avez
rien, vous n'avez rien pour vous, si ce n'est la force terri-fiante
du nombre qui toujours nous broiera. Tant pis.
L'Héroïsme,
c'est d'dire non, non à tout, non au rien
C'est d'vivre ou d'se buter, choisissant son destin
D'vouloir êt' grand et beau, quand tout est p'tit
et laid
D'défendre, seul, une idée, surtout lorqu'elle
déplaît
"J'ai vu
les trois grandes expressions de la société:
l'Obéissance, la Lutte et la Révolte; l'Obéissance
était ennuyeuse, la Révolte impossible, et
la Lutte incertaine." - Balzac.
L'Héroïsme, c'est d'dire oui, oui à
tout, pour un rien
D'faire comme si tout était, certain que rien n'est
rien
C'est, sachant qu'tout est jeu, et illustrant Kafka
De seconder le monde dans son combat contr' soi
L'Héroïsme,
c'est de préférer une belle défaite,
à une victoire sans grâce. Aussi, papa, vais-je
mépriser affreusement cet instant - Adieu.
Allez va! si
c'est ainsi que les hommes vivent, je préfère
crever le flingue au poing. Si c'est ainsi que les hommes
vivent... moi, moi,