Chapitre quatre:
la Choucroute.
L'arme favorite
de l'Imposture est la confusion des termes. Aussi, le contempteur
de toute valeur donnera-t-il volontiers le même nom
sympathique et seyant d'artiste, à Thomas
Fersen, et à MICHEL-ANGE, parfois avec candeur,
mais jamais sans innocence aucune. Il poussera même
souvent l'ultime provocation jusqu'à refuser ce charmant
vocable aux Béruriers Noirs,
et ajoutera toujours, ayant beaucoup fréquenté
les Caissières à LECLERC:
"mais, pour qui tu t'prends? tu
fais l'même métier qu'LAGAF'!"-
Non, non, ami-camarade trisomique, l'INDISPENSABLE
ne fait pas le même métier que LAGAF',
l'Indispensable, lui, gagne beaucoup moins d'argent.
Aussi, ayant remarqué que 99,9 % des débats
mondains à prétention substantielle achoppait
sur le contenu même des termes employés, l'INDISPENSABLE
va-t-il, à présent, définir deux mots
bien distincts.
Premièrement, l'objet dont le but est de distraire
le public, et par la même de complaire à ses
goûts changeants. Cet objet, en soi, n'est nullement
méprisable. Il arrive même à l'INDISPENSABLE
de quitter les sphères altières de ses pénates
gribeauvaliens, pour se livrer, avec ses gens, à
des activités populacières et drolatiques,
comme l'écoute de BORIS - "ça
va chauffer dans les bermudas!" - ou le repassage
collectif de chat. Nous appellerons cet ob-jet, si vous
le voulez bien, "art", en hommage à la
publicité de NIKE "le
football rend dérisoire tout autre forme d'art",
et définirons par le mot "artiste", tous
ceux qui, de Patrick SÉBASTIEN à Barbara CARTLAND,
tentent d'oublier leur échec au bac littéraire
ou au concours de Caissière
à LECLERC, rêvent de tirer les gonzesses
et de gagner du poignon, et contemplent ce mot valorisant
inscrit sur leur carte de chômage.
Deuxièmement, l'objet dont le but est de témoigner
de la grandeur, de la beauté de l'Homme, et que l'INDISPENSABLE
va, tout à l'heure, définir, nous l'appellerons
"Choucroute", et, par conséquent, nommerons
"choucroutiste" tous ceux qui, de
Jérôme BOSCH
à l'INDISPENSABLE,
en passant par VAN DONGEN, PIRANDELLO,
Jacques LIVCHINE, Robert WIENE, Jack LONDON, SCHÖNBERG,
Peter GREENAWAY, Jerry-Lee
LEWIS, Joël-Peter WITKIN, ou Didier WAMPAS,
par exemple, ont choisi, sous l'influence d'une foi fervente,
d'une vocation missionnaire, d'une mégalo prognathe,
et d'un abus d'alcool, d'arpenter solitaire, famélique,
les pieds nus et la croix à l'épaule, les
chemins de traverse parsemés de pics et de clous,
où les ronces le disputent aux loups, aux mygales
géantes, ou aux troglodytes nains - oui! nous, les
choucroutistes! vous, le public!
Aussi, dans
la droite ligne de sa conférence prosopopique de
1912 sur les champignons hallucinogènes, l'INDISPENSABLE
va-t-il à présent, dans ce spectacle à
vocation culinaire, te dire tout de la différence
entre l'art et la Choucroute.
Premièrement:
la vision du monde. Tandis que l'artiste pense la même
chose que mon boucher ou Florent
PAGNY, le choucroutiste, lui, possède une
vision du monde forte et spécifique, différente
de celle, vulgaire, de ses na-vrants contemporains. Oui,
ami-camarade public, ne parlant que
de lui, partiel et partial, mais surtout, surtout,
jusqu'au-boutiste, il devient, car tel est le pa-radoxe
et le grand secret de la Choucroute, oui,
il devient universel, ne parlant que de l'Homme;
exhibant sur la place publique, impudique et extrême,
l'immonde pornographie d'une âme livrée à
nue, le choucroutiste dévoile une part d'humanité
commune à tous les hommes.
Deuxièmement:
la modernité. L'âme humaine est éternelle,
et le mythe du progrès n'est qu'une imposture cherchant
à maquiller le renoncement en but. Pourtant, le temps
passe (lentement...), le décor change, et le pauvre
choucroutiste, contraint de répéter, essentiellement
donc, des paroles ances-trales, les met, sous peine de passer
pour un servile copieur, au goût, ou au dégoût,
du jour, poussant plus loin les recherches formelles entreprises
par ses pairs, et témoigne,
ainsi, à la fois de la persistance ontologique, et
des variations contingentes. Aussi, la Choucroute,
à la différence de l'art, est-elle intimement
liée à son histoire. Aussi, n'y a-t-il pas
de Choucroute mineure, il n'y a que des artistes incultes,
lâches, paresseux, et manquant totalement d'ambition.
Troisièmement:
la maîtrise technique. Oh! bien sûr, que nenni
non point celle qui est une fin en soi d'une Céline
DION ou de tout autre artiste, mais bien celle qui
n'est qu'un moyen de passer, fidèlement, d'un monde,
celui qui habite le choucroutiste, à un autre, transmissible,
celui du papier, de la toile, ou de l'instrument - de la
Choucroute en fait.
Quatrième
et dernièrement: le Courage, toujours le Courage.
Le courage d'être libre, et donc seul, contre tous,
pour préserver l'intégrité de sa vision
du monde; et le courage de la pousser à bout, quelques
soient les obstacles et les difficultés. Parce que
quand on est le premier à avoir raison, on a forcément
raison seul - tautologie triviale; parce qu'une idée
partagée par plein de gens est un idée vulgaire-re;
le mythe d'un choucroutiste porte-parole,
ou d'une Choucroute démocratique, ne sont,
là encore, que de lâches
impostures.
Et puis, aussi,
le courage de supporter, avec le sourire en plus, sinon
c'est à l'instant le sempiternel "mais,
pour qui tu t'prends, t'as vraiment la grosse tête",
oui donc, le courage de supporter la dictature du marché,
comme si quelqu'un allait, de bonne grâce aujourd'hui,
payer pour une oeuvre qui sera lue dans cent ans;
la dictature du critique qui "a autant à
voir avec le choucroutiste, que l'historien avec l'homme
d'action"(DUBUFFET) . A l'aide d'une machine à
voyager dans le temps, comparons leur jugement péremptoire
à la postérité, et brûlons tous
ceux dont l'incompétence se révèle
manifeste: nous résoudrons ainsi, par leur seule
combustion, le problème de l'énergie en France;
la dictature des professionnels dont l'aveuglement crève
les yeux, tant c'est toujours REMBRANDT ou BRASSENS,
et jamais LE CLÉZIO,
qui, à terme, génèrent du poignon;
la dictature des responsables, zélateurs d'une censure
qui ne dit jamais son nom, et qui, sans cesse, défèquent
dans leur uniforme fonctionnaire à l'idée
seule qu'un plus haut responsable, dût-il être
apocryphe, puisse un jour les tancer;
la dictature, enfin, du public, qui confond, trop souvent,
Choucroute et plomberie: "c'est
vachement intéressant c'que vous avez fait, j'avais
jamais vu ça ailleurs, mais, vous me comprenez, c'est
trop ... euh ... enfin c'est pas assez ... enfin, chez moi,
ça n'm'intéresse pas, quoi. J'voulais une
salle de bain comme chez Monique, enfin, pas d'la même
couleur, que ça soit pas exactement pareil non plus
..." - Ta gueule, connard! Le fameux respect
du public, c'est pas de te donner ce que tu demandes, c'est
de te donner ce dont tu as besoin.
Allez
va, reste petit et laid, moi, moi,