— Capitaines.
Le général d’Astignac vous a exposé la situation. Je pense. Dans les grandes
lignes. Il y a trois possibilités. La première.
Vous témoignez à charge. Contre Vaquette. Le colonel Vaquette. Votre promotion
est assurée. Immédiatement. Durablement. Je m’y engage. Vous ne le regretterez
pas. Alors ?
— J’vais
te péter la gueule enculé. J’vais te kicker jusqu’à c’que t’aies le cerveau qui
te sorte par le nez. J’vais t’tuer connard.
Stéphane
recule, de deux pas. Les gardes avancent, matraque à la main.
— La
colère est mauvaise conseillère. La tentative serait vouée à l’échec. Elle
n’arrangerait rien. Pour lui. Pour toi non plus. Bien sûr. Vous déclinez ma
proposition ? C’est ça ? Je m’y attendais. Deuxième possibilité.
Voici un texte. Bref. Je, soussigné(e), vos nom, prénom, capitaine de
libération de l’armée nationale, déclare ne pas souhaiter témoigner en faveur
du colonel Vaquette Tristan-Edern, accusé de haute trahison. Recopiez-le.
Datez. Signez. C’est tout. C’est neutre. Vous ne le trahissez pas. Vous le laissez
à son sort. Simplement. C’est son problème. Après tout. Plus le vôtre. Vous
l’avez aidé. Déjà. Beaucoup. Vous ne lui devez rien. Pas la vie. Surtout pas.
Il est allé trop loin. Beaucoup trop loin. Vous ne pouvez rien faire. Plus rien
faire. Vous n’avez pas le choix. Tenez. Regardez. Le général d’Astignac a
signé. Ce même document. Déjà. Faites comme lui. N’hésitez pas.
— C’est
quoi la troisième possibilité fils de pute ?
— Les
insultes ne serviront à rien. À rien. Enfin… La troisième possibilité ?
N’en parlons pas.
— Si, si, parle. T’as l’habitude, non ? Crache
connard !
— Elle
est inutile. Vouée à l’échec. Perdue d’avance. Vous ne l’aiderez pas. D’aucune
manière. La vie militaire est dangereuse. Un accident vite arrivé. Je vous l’ai
dit. Mieux vaut ne pas en parler. Au mieux vous seriez condamnés. Avec lui.
Ridicule. Triste fin. Votre carrière s’annonce brillante. Songez-y. Vous n’avez
pas le choix. Absolument aucun.
— J’aurais
dû te tuer bordel, dix fois, j’aurais dû le faire, quel con ! C’est
dégueulasse. T’es vraiment un pourri, une belle ordure.
— Admettons.
Ce qui n’est pas fait n’est plus à faire. Les regrets ne servent à rien. Les
temps ont changé. La force brutale ne triomphe plus. Tu vas l’apprendre. À tes
dépens. Te voilà de retour à la civilisation. La société police les rapports
humains. Exclut la violence physique. Tant mieux. La loi protège les plus
faibles. Signe. Tu ne t’en tires pas trop mal. Je pourrais t’en vouloir. Te
faire payer. Signe. Et c’est fini. Pour toi.
Stéphane
pose sur le bureau une feuille vierge, un stylo, le modèle, s’éloigne de
quelques pas, se tourne vers la fenêtre, regarde au loin, immobile. Une minute
passe, puis Bixente baisse les yeux, s’approche du bureau, saisit le stylo, la
feuille, et commence à écrire.
— Bixente !
tu ne vas pas faire cela ? Tu es fou ?
Il
s’énerve :
— On
n’a pas le choix. Tu comprends pas ? On n’a pas le choix !
— Bixente !
— Quoi ?
Tu crois que j’suis fier de ce que je fais ? Oui, c’est dégueulasse. Et
après ? On n’y est pour rien. On n’y peut rien. Les ordures c’est pas
nous. Puis il avait qu’à pas se foutre dans la merde, bordel. À force d’à
force, ça devait arriver. Je suis désolé. Je regrette.
— Bixente !
Je t’interdis de faire cela.
Il
recopie, vite, sans lever les yeux, date, signe, jette violemment le stylo dans
le dos de Stéphane – « Tu l’as ton papier, enculé » – et se dirige
vers la porte, les yeux toujours baissés :
— Pardon
Artémise, excuse-moi.
Il
sort.
Stéphane
ramasse le stylo, jette un long coup d’œil sur la feuille, a l’air satisfait,
regarde droit dans les yeux le capitaine Legrand :
— À nous deux. Maintenant. Ne sois pas ridicule. Regarde
le général d’Astignac. Le capitaine Majakovic. Ils ont signé. Pas de gaieté de
cœur. Non. Pas fiers d’eux. Non. Ils ont compris. Simplement. Qu’ils n’avaient
pas le choix. Signe.
À son
tour, il lui tend le stylo, le modèle, une feuille vierge.
— Je
demande vingt-quatre heures de réflexion.
— Je ne peux pas. Désolé. Quel dommage. Vous partez en
mission. Dans deux heures. Vous serez au secret. Votre nouveau responsable
d’unité a des ordres. Stricts. Tu vois. Tu ne peux rien. Ne réfléchis pas trop.
Signe.
— Non.
— Bien. Je te donne une heure. Pas plus. Un garde
restera avec toi. Dans ce bureau. Un autre sera à l’extérieur. Derrière la
porte. Tu ne peux rien faire. Je reviendrai. Dans une heure. Et tu auras signé.
C’est un conseil. Pense à toi. Lui, il est déjà perdu. De toutes façons.
Comprends-le bien.
Il
sort, suivi par l’un des gardes.