Chapitre 52
:
Vaquette est en prison

Le lendemain, j’entre en prison

Le lendemain, j’entre en prison. Comme simple visiteur.

— Monsieur l’IncroyablE ?

— Pour vous servir. C’est un trope, bien sûr.

— Vous passez en jugement demain.

— Et dire que les Français se plaindront bientôt des lenteurs de la justice.

— Vous m’avez nommé comme témoin ?

— Il est vrai. En souvenir des drolatiques distractions (malheureusement un rien violentes, il est vrai) que Jasper l’IncroyablE découvrit par votre entremise. Mais ne dites rien, je sais. Vous êtes venu, solennel, m’annoncer que votre mémoire flanche, quest possible, en effet, que vous m’ayez connu en un passé lointain où vous prétendiez œuvrer pour la justice et la vérité, mais cette époque est révolue, malheureusement défunte. À présent, vous doutez, et, c’est tout à votre honneur, vous vous interdisez de témoigner pour moi auprès de la justice des hommes, tant votre souci d’exactitude est avéré. Vous êtes venu, en ce matin d’été, car vous n’êtes pas lâche au point de simplement briller par votre absence, pour me présenter, marri, contrit, mortifié même, des excuses si plates que, sanglées au cœur d’un bonnet A, elles laisseraient place encore à un vide si certain que l’immensité sidérale pâlirait à sa vue. Jasper l’IncroyablE vous rassure, il ne découvre pas brutalement grâce à vous qu’il est seul. Il n’est pas même déçu des hommes, à peine un peu chagrin que vous soyez à leur image. Oui, il l’avoue, il vous avait espéré un instant différent. Il s’est trompé, tant pis pour lui, son œuvre eût été belle s’il lui avait été donné de vivre. Jasper l’IncroyablE a raison, n’est-il pas, ami-camarade assassin ?

— Je l’ignore. La volonté, le courage, l’exigence, l’ambition, la pugnacité, la détermination, le travail, l’opiniâtreté font autant pour la grandeur d’une œuvre que ce que tous appellent le talent. Aussi doué qu’on puisse être, l’œuvre, à l’instar du destin, reste un objet a posteriori, même si, évidemment, on peut la pressentir, l’espérer aussi. Quant à la raison de ma présence ici, oui, vous vous trompez. Je témoignerai pour vous, bien sûr, si vous le désirez encore.

— Et pourquoi Jasper l’IncroyablE, brutalement, vous exclurait-il, ne serait-ce que par le désir, des agapes festives et judiciaires au cours desquelles il compte bien, se vautrant immodérément dans la fange, goûter à la défécation des hommes en leurs latrines procédurières ?

— Parce qu’il écouterait ce que je suis venu lui dire.

Je lui résume alors, dans les grandes lignes, mon ultime conversation avec d’Astignac. Je conclus :

— Je vois trois possibilités. La première, c’est que je témoigne pour vous, votre sort dépend alors du mien, c’est risqué. La deuxième, c’est que je ne témoigne pas pour vous, votre sort ne dépend plus du mien, c’est également risqué. La troisième, probablement la plus périlleuse, pour moi en tout cas, est que je vous fasse évader, immédiatement. Évidemment, je suis armé. Alors ?

— La première, bien sûr. Jasper l’IncroyablE a vocation à être, en plus de l’auteur magnifique que l’on sait, un acteur parmi les plus grands, et, pour peu qu’il se concentre sur le rôle, il est probable qu’il soit en mesure de déclamer sans rire aucun : « Je crois en la justice de mon pays », à moins, bien sûr, qu’un « Morituri te salutant » ne se révèle infiniment plus de rigueur.

— Vous avez un avocat ?

— Monsieur ! Jasper l’IncroyablE ne s’est pas complu aux agissements sordides du marché noir. Qu’aurait-il vendu d’ailleurs à ses navrants contemporains ? Ses écrits ? Ils sont inestimables, et pourtant, que dis-je ? et partant, sans valeur vénale. Aussi, Jasper l’IncroyablE est-il désargenté comme Job, et seul, peut-être, un avocaillon bègue et dyslexique lui sera prêté par la nation.

— Je ne suis ni bègue, ni dyslexique, c’est un bon début. Bien sûr, je ne connais rien au droit, mais je sais la lutte, et la justice aussi, surtout, je vous rassure – non ?– je gagne toujours à la fin. Voulez-vous d’un tel avocat, à titre gracieux bien sûr ?

— « Ah ! Mais si cela est gratuit, j’aurais grand tort de ne pas en profiter ! » Tel est probablement le comble de la vulgarité. Je vous paierai, donc. Alors, pourtant, tel Iznogoud, ne venez pas m’affirmer doctement que Monopoly n’est pas la nouvelle banque de Bagdad. Sérieusement, vous gaussez-vous ?

— Si oui, gaussons-nous donc ensemble. Je ne peux pas toujours tuer des gens.

— Vendu !

— Pas d’insultes s’il vous plaît, elles viendront bien assez tôt.

— Savez-vous, ami-camarade tueur, que Jasper l’IncroyablE vous aime bien ? Finalement.

— Attendez donc votre acquittement. Libre, vous me remercierez en allant cracher sur ma tombe, s’ils me condamnent bien sûr. En attendant, nous n’avons que quelques heures devant nous pour préparer votre défense. Synthétiquement, par pitié, car je redoute le pire, dites-moi tout du grand mythe jasperien, de son actualité brûlante surtout : Vive Pétain, et Mort aux Juifs.

— C’est un toast ? Eh bien soit : prosit ! C’est parti.