— Avez-vous
vu Si Versailles m’était conté, de Guitry ? Il imagine ce dialogue entre
Louis XIV et sa femme que je vous retranscris de mémoire : « Vous ne
me comprenez pas madame ; vous ne me comprenez pas non plus
monsieur ; oui, mais cela a moins d’importance. » J’ai parlé à
demi-mot devant Pipard, laissez-moi être moins équivoque. Monsieur Victor,
comme vous dites, a insisté pour être nommé préfet ou procureur, ici, dans
« votre » ville, ce que j’ai fait il y a une dizaine de jours avant
de rejoindre le front, en compagnie d’ailleurs des capitaines Legrand et
Majakovic. C’est une parenthèse, si j’osais, je dirais une digression, mais ce
sont deux personnes de très grande valeur, hors et dans les combats. Je vous
regrette, comme eux vous regrettent, mais nos appels semblent s’échouer sur
votre entêtement, et pourtant, pensez à Balzac, « songez aux attraits que
présente une lutte. C’est la vie, elle est préférable avec ses blessures et ses
douleurs aux noires ténèbres du dégoût, au poison du mépris, au néant de
l’abdication, à cette mort du cœur qui s’appelle l’indifférence. » Je
reviens à mon récit, rassurez-vous. J’ai donc nommé Pipard préfet, et, grâce à
des yeux, des oreilles que j’ai placés un peu partout, j’ai vite découvert sa
véritable intention. Il veut votre peau Vaquette, ni plus ni moins. Ce procès,
ce témoignage, sont une immense mascarade dont l’unique but est de vous faire
condamner, vous, pour haute trahison, et, en conséquence, de vous voir
exécuter, rapidement, sous couvert des lois d’exception. Son stratagème ne m’a
pas été révélé limpidement, mais disons quambitionne de vous rendre complice de
l’agression de ce Jasper l’IncroyablE dont il prétend avoir été victime lors de
la nuit du 3 avril dont vous fûtes le héros. Je suppose qu’il entend suggérer
que vous avez ainsi tenté de saboter l’opération qui, sans lui, eût été un
échec, d’autant que vous lui avez généreusement fourni les fers pour vous
battre : votre désertion en Angleterre, votre altercation avec la
Résistance dès votre retour en France, puis avec lui-même à peine quelques
heures plus tard, la libération et l’assassinat des deux chefs gestapistes qui
s’en est suivi, sans oublier, bien sûr, tout ce que vous trouverez encore à
ajouter à son dossier d’ici là, tout ce qu’il ajoutera par lui-même – votre
élargissement après votre interrogatoire, par exemple. Vous voyez, bien ficelé,
dans une période où la justice peut être suffisamment expéditive, il a bon
espoir de vous envoyer au poteau, et, croyez-moi, il ne pense qu’à cela jour et
nuit. « Parce que tu es tendre et juste, tu dis : “Ils sont innocents
de leur petite existence”. Mais leur âme étroite pense : “Toute grande
existence est coupable.” » – Nietzsche. C’est pourquoi je vous conseille
de nouveau, avec insistance, pour votre bien, de renoncer à venir témoigner à
ce procès. Je suis certain d’ailleurs que le combat vous manque. Revenez avec
nous, sans tarder. Au front, sous ma protection, il n’osera pas même imaginer
quelque intrigue contre vous. La guerre finie, le temps passé, s’il n’a pas
oublié ses vieilles rancunes, au moins aura-t-il perdu tout pouvoir sur vous.
M’avez-vous à présent mieux compris, colonel ?
— Pensez-vous
que je sois un traître, général ?
— Évidemment
non.
— Pensez-vous
que c’est bien moi, et moi seul, malgré lui, qui ai réalisé avec succès la
mission que vous m’aviez confiée ?
— Sans
aucun doute.
— Est-ce
vous qui avez nommé Stéphane Pipardpréfet ?
— Je
vous l’ai dit.
— Avez-vous
le pouvoir de le destituer à l’instant ?
— Évidemment.
— Alors,
dites-moi pourquoi m’inquiéterais-je un seul instant ? S’il s’agit d’un
piège comme vous semblez le penser, il en sera la première victime, que
dis-je ? la seule. Je révélerai lors du procès ses agissements exacts
durant cette nuit du 3 avril, jusqu’à sa trahison, et si Jasper l’IncroyablE
est un témoin de peu de poids, les capitaines Legrand et Majakovic, héros de la
Résistance, le général d’Astignac, premier représentant du gouvernement de la
France sur le sol libéré, sauront, je n’en doute pas, emporter la décision du
tribunal en ma faveur. Je ne vois rien là, sans même forcer ma naïveté, qui
pourrait laisser présager un péril.
— Décidément Vaquette, vous ne me comprenez pas. Du
tout. Et ce, malgré votre merveilleuse intelligence, paraît-il. « Ce qui
vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égards, ni patience » –
René Char, c’est presque de circonstance pour une fois. Certes, mais vous
n’imaginez pas pour autant que je vais attaquer un vassal bien utile car
absolument obéissant, pour venir au secours d’un élément qui lui ne l’est
jamais – ni utile, ni obéissant – et pour lequel j’éprouve bien sûr de la
sympathie et de l’estime, mais qui n’est et ne sera jamais rien d’autre pour
moi, semble-t-il, qu’une source intarissable de désagréments ? Votre
naïveté, feinte ou réelle, surpasse décidément même votre orgueil. J’adore la
littérature, soyez-en certain, mais je ne suis pas romanesque. J’ai fait, pour
vous sauver, plus de cent kilomètres dans un pays en guerre alors qu’un devoir
autrement plus impérieux m’attend auprès de mes hommes, alors même que je vous
avais promis, que je m’étais promis, de ne plus jamais vous venir en aide. Ne
voyez-vous pas cela ? Ne l’appréciez-vous pas ? Ce qui n’est pas tout
est-il rien ? Ce qui n’est pas vous est-il rien ?
Interlude
Si
tu continues comme ça Vaquette, tu finiras seul – pourquoi, ami lecteur, toi,
tu n’es pas seul(e), déjà ?
Fin de l’interlude
— Général,
vous avez pris l’habitude du pouvoir : chaque phrase vous sert à
dissimuler votre pensée. Je peux très bien, et vous le savez, témoigner à ce
procès pour sauver notre honneur, la vérité, un innocent surtout, un de ces
auteurs que vous révérez, ou que vous révérerez, ou qui sombrera dans l’oubli,
qu’importe, oui, je peux témoigner, et vous devez comprendre que c’est une
exigence, qu’il m’est interdit de vivre sans cela.
— Quelle
grandiloquence, comme souvent ! Sachez que « ce sont les fantômes qui
sont cruels, avec les réalités, on peut toujours s’arranger ».
Montherlant, décidément encore lui.
— Eh bien non ! Moi, je ne m’arrange pas comme vous
dites, mais laissez-moi finir. Je peux très bien témoigner, en mon nom propre,
et, d’un seul mot qui ne vous coûtera absolument rien, vous le savez, vous
pouvez stopper Stéphane dans son entreprise. Alors, dites-moi pourquoi, en
vrai, comme disent les enfants, naïfs eux aussi, vous ne voulez pas que je
témoigne lors de ce procès. Je veux comprendre. Ce n’est tout de même pas pour
éprouver votre pouvoir sur moi, je ne vous crois pas si bas, pas plus que je ne
vous crois aveugle au point de ne pas savoir ce pouvoir imaginaire.
— Que
voulez-vous m’entendre dire ? Que Jasper l’IncroyablE couche avec ma
femme ? Eh bien, non – vous êtes déçu ? Je vous ai déjà expliqué la
politique que nous menons. L’épuration a pour but de définir de nouvelles
règles du jeu, les frontières de l’unité nationale, le socle commun qui va
servir à la réconciliation, à la reconstruction du pays. Disons que ce monsieur
s’en est de lui-même exclu. S’il était plus connu, reconnu disons, plus
prestigieux, plus malléable surtout, nous le récupérerions naturellement après
une période de repentance de rigueur, mieux, de circonstance. Mais voilà, il
n’est rien, si ce n’est, permettez-moi cette trivialité, un fouteur de merde
qui ne s’amendera jamais. Pour un peu, il nous faudrait le remercier d’être un
si bel exemple. Oui, nous allons le condamner, pour dire à nos concitoyens,
comme on dit à un enfant : voici la limite à ne pas franchir, non, on ne
peut plus dire « Vive Pétain », non, on ne peut plus dire « Mort
aux Juifs », et de vous à moi, cela ne me semble pas être une terrible
entrave à la liberté d’expression. « On ne fait pas d’omelette sans casser
des œufs » – voyez, je ne peux pas toujours citer Montherlant. Votre
présence à ce procès, je vous ai dit tout cela déjà, ne participerait pas à
clarifier la nouvelle idéologie nationale, or, si le pays a besoin urgemment de
quelque chose, c’est bien de clarté dans la direction vers laquelle nous
devons, tous ensemble, converger. Citons Stendhal si vous voulez :
« La tyrannie de l’opinion, et quelle opinion ! est aussi bête dans
les petites villes de France qu’aux États-Unis d’Amérique », mais
citons-le uniquement entre nous.
— Avez-vous
lu les écrits de Jasper l’IncroyablE, général ? Non ? Moi, si. Pas
les deux textes incriminés d’ailleurs, mais je peux assez bien imaginer leur
teneur. Je me souviens d’une chanson diffusée il y a deux ans sous le manteau,
et qui prenait à partie la milice. Le titre en était : Et mon vécu,
c’est du poulet ? et le refrain : « Rambo, gros con, ta bite
c’est ta matraque, Rambo, sale flic, t’es fier d’ton gros bâton » – d’une
rare finesse, n’est-il pas ? mais assez drôle pourtant, en tout cas, à
l’époque, c’était un acte de résistance, j’allais dire comme un autre, mais il
est rare que l’on meure de rire.
— Eh
bien, disons qu’il a mal tourné. Tant pis pour lui.
— Non, justement. Et justement, c’est pour cela que vous
ne voulez pas que je témoigne à son procès. Si j’étais paranoïaque (en plus que
de ne pas être mégalomane, puisque simplement ambitieux), je vous soupçonnerais
d’avoir inventé de toutes pièces, pour cette seule raison, cette histoire de
complot de monsieur Victor à mon encontre, mais rassurez-vous, je vous en crois
tout à fait incapable… n’est-ce pas ?
— À un
autre que vous, je citerais Balzac : « Une des plus détestables
habitudes de ces esprits lilliputiens est de supposer leurs petitesses chez les
autres », évidemment, de même que vous ne me soupçonnez pas, je vous en
fais grâce.
— Bien.
Passons, donc. Le discours de Jasper l’IncroyablE, mieux, sa démarche, son
existence même, sont profondément, réellement subversifs. Vous espérez les
enterrer ? Ma présence, la caution qu’elle représente les rendent
définitivement dangereux, terrorisants pour le pouvoir que vous mettez en
place. Je précise votre pensée, non ? L’extrême droite c’est l’ennemi, les
camps de concentration une tache indélébile sur l’Europe, le génocide juif une
tragédie de l’histoire, la peine de mort c’est la honte, la guerre en Bosnie
c’est pas cool, le racisme c’est mal, la police tue des mecs, les religions
c’est nul, les sectes beurk, l’exclusion caca, et puis, on veut la pilule, l’ivg, la légalisation du teuteu, des
papiers pour les sans-papiers, les trente-deux heures, la taxe Tobin mais pas
d’ogm, que sais-je encore ?
Tout cela est et sera légitime, de mon point de vue bien sûr, du point de vue
aussi d’une minorité importante qui, les années passant, deviendra
naturellement majorité. Tout cela est l’évidence historique, les « gens de
gauche » appellent cela le progrès. Oui, cela est légitime, mais
aucunement subversif, j’entends que ça ne remet pas profondément en cause le
pouvoir, ceux qui le détiennent surtout, bien au contraire. À travers le jeu du
gentil et du méchant flic (la gauche et la droite), l’alternance, l’évolution
des mentalités et des lois, cela même le légitime.
Digression
Regardez les Verts. Que veulent-ils transformer,
profondément, si ce n’est la carte électorale du pays ? À quel grand soir
rêvent-ils, si ce n’est un soir d’élections où leur appareil détrônera celui du
Parti socialiste ? Finalement, le seul vrai débat au sein des Verts, c’est
de savoir qui, de Voynet ou de Mamère – ouais ! ta mère, sera le (la)
premier(e), président(e) de la République, avec Cohn-Bendit comme Premier
ministre bien sûr – rires !
Fin de la digression
— Ne
vous méprenez pas. Je ne suis pas subitement devenu zélateur d’un monde, d’un
système politique que je combattais il y a peu encore, évidemment non.
Évidemment aussi, et c’est d’ailleurs pour cela que vous craignez tant ma
présence à ce procès, cet uniforme, ces médailles que je porte, mon action dans
l’ombre, dans les éclairs des armes, tout cela ne doit me servir aujourd’hui qu’à
balayer d’un revers de main la moindre mise en doute de ma légitimité – eh
quoi ! je n’ai tout de même pas écrit la moitié de ce roman pour rien,
non ?
— Votre
discours est connu Vaquette, Dostoïevski l’attribuait il y a plus d’un
demi-siècle aux nihilistes : « Voulez-vous que je vous dise ce que
vous redoutez par-dessus tout ? c’est notre sincérité. »
— Laissez-moi
finir. Tout pouvoir est fondé sur un mensonge : la supériorité de la race
allemande, le bien du peuple, la primauté de la liberté individuelle… et
contrairement d’ailleurs à une opinion assez largement partagée, je ne vois pas
les dirigeants comme de grands démiurges cyniques méprisant le peuple et
abusant de lui sans scrupule, enfin, pas entièrement. Non, je les crois,
partiellement du moins, dupes de leur propre mensonge, d’autant plus facilement
bien sûr, que ce mensonge les sert personnellement. Le système que vous
contribuez à bâtir et qui va perdurer longtemps, au moins cinquante-neuf ans,
probablement beaucoup plus, est fondé sur ce mensonge : tous ceux qui vont
être amenés à détenir le pouvoir réel, ou plus exactement, le pouvoir
institutionnel, j’entends, en l’an 2003 par exemple, aussi bien Anne Sinclair
que son mari, Chirac que bhl,
Debré que Jean Daniel, Jack Lang que Elkabbach, pardon de citer des noms qui
seront oubliés quand ce roman sera encore lu, pardon surtout d’en omettre,
tant, oui, tous ceux-là bien sûr, mais aussi la quasi-totalité des élus, des
responsables des administrations publiques ou des politiques culturelles (jusqu’à
la moindre mjc ou bibliothèque
municipale), des présidents des grandes associations bien-pensantes, des
journalistes, des « artistes » reconnus…, oui, tous, tous ceux qui
détiennent et détiendront une parcelle de ce qu’on appelle le pouvoir, adhèrent
et adhéreront obligatoirement aux idées dominantes issues de la Résistance.
Dans leur cas, je suis même prêt à parier qu’à de très rares exceptions près
(peut-être, et encore, Mitterrand était-il un vrai cynique, je veux dire une
vraie crapule), ils sont entièrement sincères. Il est vrai aussi qu’il est plus
facile de croire à la liberté, à l’État de droit, à la démocratie même, aux
valeurs « universelles », droit-de-l’hommiennes et antiracistes,
qu’au socialisme réel. « Et alors ? je ne vois là nul problème, et où
est le mensonge dans tout ça ? », me direz-vous. J’y viens. Le
mensonge, il intervient, comme très souvent, par un glissement progressif de la
vérité, un peu comme une approximation riemannienne du calcul intégral :
une somme de termes tous approximativement exacts, de petits mensonges, donc,
si petits, qu’ils en paraissent presque négligeables, qu’ils passent inaperçus
du moins, pour peu que l’on relâche son attention, ce qui est aisé, facile
(trivial pour rester dans le langage mathématique) lorsque l’intérêt nous
guide.
Digression
Rappelons
tout de même que la somme d’une infinité de termes infiniment petits n’est pas
nécessairement nulle ni même finie, cela dépend de la convergence ou de la
divergence desdits termes.
Fin de la digression
— Mais patience,
je vais conclure. Par un glissement progressif de la réalité, on passe du
« Je pense comme eux », à « Je suis comme eux », puis,
« Je suis eux » (le même principe qui prédestine au « On a
gagné » de la part de ceux qui n’ont jamais joué, et qui surtout, jamais
ne joueront) – voilà, c’est cela l’absence de modestie. Écoutez-moi bien
d’Astignac, probablement vous, vous pouvez m’entendre, leur légitimité, ils la
tirent et la tireront de mon combat, et de lui seul. Regardez-les défiler dans
cinquante-six ans contre l’extrême droite en Autriche ou dans les
Bouches-du-Rhône : ils ne doutent pas, ils ont pris les armes, comme moi,
ils ont été torturés, comme moi, et comme moi, ils n’ont pas parlé, alors même
que, utilisant le pouvoir que leur donne leur domination du monde – oui !
ils sont l’exact contraire de ce que nous étions : ils sont pour, et
pourtant contre, contre quoi ? contre un pouvoir bien mort et absolument
inoffensif, du moins absolument marginal ; qu’il cesse d’ailleurs de
l’être, et on les cherchera sous les tapis – ils viennent d’assassiner, et la
liste n’est pas prête d’être close, des Serbes, des Irakiens ou des Afghans,
alors qu’ils ont cautionné, ou pour le moins collaboré, parmi tant d’autres
choses (et ça commence quelques mois tout juste après cette scène, à Madagascar
ou en Indochine), à la barbarie (comme ils disent) de la guerre d’Algérie
(comme ils ne diront pas, pudiquement), à la censure qui va l’accompagner et
qui aujourd’hui encore ne semble pas vouloir s’éteindre. Parmi eux, combien ont
été torturés ? combien sont allés en prison, ou même simplement devant un
tribunal, pour avoir osé un jour dire non, non à cette barbarie par
exemple ?
Digression
La
guerre d’Algérie, c’est deux millions d’appelés, et moins de cinq cents déserteurs
– respect.
Fin de la digression
— Oui,
retirez-leur cette légitimité qu’ils ont volée sur nos cadavres, pillant nos
tombes, que reste-t-il ? Qu’a à dire bhl ?
Qu’a à dire Jean Daniel – ah si ! à propos de Francis Jeanson, en 1955,
dans les colonnes de L’Express, qu’il hésite entre « le chagrin et
le haussement d’épaule » ? Qu’ont à dire tous ceux que j’ai déjà
cités ? Tous les autres ? Le vrai résistant, aujourd’hui, c’est
l’entarteur. J’exagère ? C’est de la provocation ? Non, évidemment.
Convenez tout de même avec moi, comme une évidence, que le feddayin algérien ou
palestinien est tout de même plus proche des idéaux et des pratiques de la
Résistance que ne le sont Aussaresses ou Sharon.
— Pardonnez-moi,
mais tout cela ne trouverait-il pas mieux sa place, par souci de clarté, là
encore, dans une digression dont le lecteur peut aisément s’affranchir ?
— Non.
L’épuration, comme je la décris du moins, mais chacun aura compris que je ne
m’encombre pas de véracité ni de cohérence historique, est l’événement
fondateur de ce mensonge. Mais si vous y tenez absolument, je vais poursuivre
dans ce cadre.
Digression
Cette
anecdote est strictement réelle. Il y a quelque temps, j’ai été expulsé de
Radio France cinq minutes avant le début d’une émission durant laquelle j’étais
censé assurer la promotion de l’un de mes spectacles. J’ai été expulsé par le
directeur de l’antenne en personne, sans doute prévenu par l’animateur lui-même
(qui, à ma connaissance, à l’heure actuelle, est toujours caché quelque part
sous la moquette épaisse du studio) de ma réputation prétendument ( ?)
sulfureuse, oui, j’ai été expulsé par ce monsieur, donc, sous le prétexte que
nous étions du même camp – eh oui ! – mais que si je m’exprimais pour dire
des choses qu’il partage, bien sûr, les auditeurs appelleraient le csa qui suspendrait l’émission.
Bilan : je ne pourrais pas m’exprimer, et cet espace de liberté trop rare
sur un grand média où peuvent encore exister des voix alternatives, peut-être
même dissidentes (son émission, donc), serait suspendu – sic ! it makes me
sick. Et tout le monde s’en fout, sauf les censeurs, bien sûr. Comme en 40,
deux possibles : collaboration ou indifférence. Allez ! ce roman est
l’appel du 18 Juin, à partir d’aujourd’hui commence la lutte – je plaisante.
Le
mensonge, toujours, c’est que ce brave homme (le directeur d’antenne – je donne
son nom, pour rire encore ? allez… non, je ne parlerai pas), probablement
engagé lui aussi contre les fascistes à Vienne ou à Vitrolles, s’auréolant
inconsciemment, grâce à la pétition qu’il a, n’en doutons pas, signée dans les
colonnes du Nouvel
Obs’ ou de Marianne, du prestige de la Résistance, comme Jean-Jacques
Goldman tire sa légitimité, son nom « d’artiste » en tout cas, des
chansons de Brel ou de Ferré (là encore, le principe du mensonge est le même,
il y aurait tant à dire, mais ce roman ne sombrera définitivement pas dans le
pamphlet – quoique…) est certain que, lorsque cinq cons qui tapent avec la tête
rasée et une batte de base-ball à la main s’inviteront dans son studio pour
discuter culture et programmation alternative, il luttera, magnifique, seul
contre tous, pour la liberté d’expression et le respect du droit des personnes,
alors que la menace hypothétique, apocryphe même, de trois abrutis censeurs
armés d’un téléphone suffit à le faire déféquer dans son uniforme
fonctionnaire.
Fin de la digression
— Voilà
général. Oui, j’adhère, mais moi je l’ai prouvé, et ce n’est pas un point de
détail, c’est même tout, aux valeurs qui vont fonder notre époque, et pourtant,
malgré cela, rien, sauf bien sûr la triste fin que m’espère monsieur Victor, ne
pourra m’empêcher de voir le mensonge caché derrière chaque chose.
Digression
Vaquette
adhère aux valeurs qui fondent notre époque. Voilà, c’est dit.
Fin de la digression
— Ce
que je ne comprends pas général, c’est pourquoi vous craignez tant la vérité.
Pourquoi ne pas simplement m’inciter à témoigner (car évidemment je vais le
faire, je vais faire mieux, même, je vais défendre Jasper l’IncroyablE, et tous
vos arguments, vous le savez, ne sauront que m’en convaincre d’autant) et ainsi
naturellement tirer parti, fierté et profit de son acquittement en brandissant
la preuve que, justement, nous, nous ne sommes pas comme eux, que nous, nous
tolérons, mieux, nous écoutons une parole dissidente.
— Toujours
votre foutue naïveté Vaquette ! Je vous ai répondu dix fois, cela devient
lassant. Vous croyez quoi ? M’apprendre terriblement en me disant que
toute société est fondée sur un ou des mensonges ? Je vous l’ai dit
moi-même. Ne sous-estimez pas les hommes de pouvoir, ils se mentent moins que
vous ne le posez, infiniment moins qu’ils ne mentent au peuple. Malgré cela,
souvent, ils tentent de faire pour le mieux, convaincus que tous ne sont pas
vous, que tous ne peuvent pas tout entendre. Et puis, c’est assez ! Vous
avez fréquenté les hommes, non ? Vous imaginez une vie sociale fondée sur
la vérité, non pas, bien sûr, une société dont le mensonge fondateur serait la
vérité ? Attention à votre réponse, vous allez mentir. Vous savez, je
crois que tout ce que vous dites bien longuement, au risque de vous déplaire en
vous signalant à quel point vous n’inventez pas grand-chose, est résumé dans
cette seule phrase de Paul Valéry : « La valeur du monde repose sur
les extrêmes, sa solidité sur les moyennes. » Si j’étais Vaquette, je
ferais une pause, et vous suggérerais de réfléchir à cela. Vous avez
admirablement fait votre travail, colonel, je vous en félicite, absolument
sincèrement. J’espère que vous continuerez à assumer votre contribution au
monde avec toutes ces qualités qui font de vous un homme d’exception. Cela dit,
laissez maintenant aux autres le soin, non, mieux, le droit de consolider ce
que vous avez créé, ce que vous avez simplement contribué à créer.
— Vous me permettez un commentaire de texte, comme à
l’école ? Bien. Oui, la valeur du monde repose sur les extrêmes, et, sauf
à brûler chaque page de ce livre, je ne m’imagine pas vous contredire – une
fois n’est pas coutume – sur ce point. J’irai plus loin encore en vous disant
que toutes les grandes choses bénéfiques pour l’humanité, je sais, la
formulation est laide et sentencieuse, mais je n’en trouve pas d’autre pour
désigner la production d’œuvres artistiques, de découvertes scientifiques ou
techniques, de concepts philosophiques, voire politiques, peut-être même de
changements radicaux de la réalité sociale, j’en oublie sans doute, et je ne
voudrais pas condamner ma liste à s’enfermer sur si peu, oui, toutes ces
« choses », on les doit à des hommes, des femmes, individuellement. Comment
voulez-vous trouver un théorème, une théorie, une forme artistique, un vaccin
nouveau, si vous cherchez là où tous, par manque de courage, d’ambition, et
d’imagination aussi, cherchent et ont déjà cherché jusqu’à ne plus rien laisser
justement à découvrir, simplement parce que d’autres avant eux, moins lâches,
plus imaginatifs, ont trouvé quelque chose là, sur ce qui fut un terrain
vierge, hors de toute règle ? Ainsi, ces hommes, ces femmes, se sont
écartés de la règle, du connu, pour inventer des « choses » nouvelles,
sont sortis de leur caverne, froide et humide, pour se réchauffer au soleil (ou
au feu qu’il faut bien aller chercher dehors), peut-être simplement aussi pour
répondre, par orgueil, par mégalomanie ou simple ambition, à ce défi
métaphysique : sors dehors si t’es un homme. Ce faisant, ces hommes, ces
femmes, se sont retrouvés bien souvent en conflit avec l’immense majorité de
leurs semblables (enfin, c’est comme ça que l’on dit), car la plupart se
sentent si bien, au chaud (même s’il fait froid et humide), rassurés dans ce
qu’ils connaissent déjà, car il est si naturel d’avoir peur de l’inconnu. Cette
somme d’individuelles lâchetés, pour reprendre une formulation éminemment
vaquettienne, de jalousies aussi, parce que, malgré les protestations de tous,
on sent bien que c’est celui qui, dominant sa peur, sort et part, ailleurs, qui
est enviable, ne serait-ce que parce qu’ici, finalement, à bien y regarder, il
fait tout de même définitivement froid et humide, cette somme d’individuelles
lâchetés, de jalousies disais-je, fait la société fondamentalement
réactionnaire. C’est presque une tautologie d’ailleurs, et je vais la traduire
en d’autres termes : la société est, existe, et tous ceux qui inventent,
qui la transforment, la font évoluer, progresser, sont en avance sur leur
temps. Remarquez, cette formulation est presque équivalente à la précédente,
seulement voilà, elle me déplaît, car elle excuse. Cela peut paraître un
détail, mais, dans le premier cas, il semble que nous soyons à notre place, que
nous luttions justement contre des pesanteurs, des anachronismes ; dans le
second, cette pesanteur devient la réalité, ces anachronismes l’actualité, et
c’est à nous, en plus d’avoir raison, de devoir les subir, et de convaincre
chacun de notre légitimité, plus, d’apporter la preuve de notre innocence
lorsque nous brusquons les idées, les certitudes, les formes. En termes plus
triviaux, si vous préférez, c’est bien fait pour nous si on nous crache dessus
et qu’on nous regarde crever la gueule ouverte, et finalement, légitime aussi
de nous récupérer, après avoir tout de même nettoyé les crachats, et égayé
notre cadavre de quelques décorations patriotiques. Que de temps, que d’énergie
vous nous faites perdre, et pourquoi ? pour la seconde partie de votre
aphorisme (« la solidité du monde repose sur les moyennes ») qui est
un mensonge, une insulte même, et que l’on peut traduire par cette phrase de
caissière à la piscine – je vous expliquerai : « Vous vous rendez
compte si tout le monde fait ça ? » Oui ! oui, je me rends
compte. Le monde serait merveilleux contrairement à ce que vous semblez croire,
à ce que tous pensent, bien sûr, là encore, parce que ça vous arrange, tous. Ce
serait un monde sans guerres, sans lois, ou si peu, non pas sans conflits bien
sûr, bien au contraire dirais-je, mais qui se résoudraient dans le respect,
disons, des règles du jeu, avec fair-play, avec surtout la conscience
individuelle du ridicule des choses. C’est une jolie utopie, n’est-ce
pas ? Je vous rassure, je n’y crois pas non plus. Simplement, je suis
certain que, loin de s’arrêter, le monde tournerait mieux, simplement,
évidemment, que le pain serait juste un peu meilleur, les commerçants plus
souriants, les profs plus pédagogues, les commerciaux moins malhonnêtes, les
vigiles inexistants, les flics, même, moins arbitraires et violents – que
sais-je encore ? parce que la plupart des gens, non seulement ne servent à
rien, mais en plus, excusez ma vulgarité de nouveau, ils nous emmerdent.
Interlude
Et
puis aussi, amis lecteurs, vous ne mangeriez pas de pizzas congelées avec du
mauvais vin, du Coca ou de la bière, et puis surtout, vous baiseriez moins mal
(je parle pour vous, mesdames, mesdemoiselles, bien sûr aussi pour vous,
messieurs), si vous aimiez mieux vivre.
Fin de l’interlude
— Je vous
disais tout à l’heure que toutes les grandes choses bénéfiques sont dues à
quelques-uns, individuellement, eh bien, regardez, les grands événements,
disons maléfiques pour prolonger ma formulation apprêtée, les pogroms, les
génocides, les dictatures, les guerres, jusqu’aux ratonnades ou aux viols dans
les caves des cités, ces « événements » ont tous une responsabilité
collective. Laissez Hitler et les quelques nazis pathologiques qui l’entourent
essayer d’exterminer vingt millions de personnes avec leurs seules petites
mains, y arriveront-ils d’après vous ? Mettez ces vingt millions de
personnes, ou vingt millions d’autres, toujours vivantes, dans le bureau de
Balzac ou le laboratoire de Marie Curie, et, outre qu’elles seront à l’étroit
(avec ou sans tracto-pelle – rassurez-vous, vous allez bientôt comprendre),
croyez-vous que l’humanité héritera d’un livre ou d’une découverte de
plus ? Non bien sûr, deux fois.
— Vos
idées sont dangereuses. Que ferez-vous de tous ces gens que vous qualifiez
d’inutiles, de nuisibles même ? Les enfermerez-vous dans des camps ?
Et qui décide ? Et qui les garde ?
— Pourquoi
pas ? Après tout, qu’en faites-vous, vous ? Et puis, profitons-en,
les camps sont construits, déjà. Quant à savoir qui les garde, donnez-leur une
télé et un Zidane, ils se garderont seuls. Mais je plaisante bien sûr, car la
vraie question est bien : qui décide ? et la seule réponse :
naturellement moi. Et puis, brutalement j’ai un doute, car s’il n’y avait que
des gens comme moi, il n’y aurait ni camp, ni garde, ni procureur, ni juge, ni
militaire… – je crée un chômage terrible, non ? mais élimine aussi tout
risque à la base. Quant à savoir réellement qu’en faire, de tous ces gens, vous
voyez, dans ce cas, je m’arrange avec la réalité, je prends sur moi comme on
dit, pour les supporter libres et vivants, et je lutte chaque jour pourtant
contre eux pour préserver, comment dirais-je ?… mon espace vital. Qu’on
les laisse vivre, oui, mais nous aussi, par pitié.
— Pauvre
Vaquette ! Vous me faites penser à ce passage de René, de
Chateaubriand : « Je vois un jeune homme entêté de chimères, à qui
tout déplaît, et qui s’est soustrait aux charges de la société pour se livrer à
d’inutiles rêveries. On n’est point, monsieur, un homme supérieur parce qu’on
aperçoit le monde sous un jour odieux. […] Étendez un peu plus votre regard, et
vous serez bientôt convaincu que tous ces maux dont vous vous plaignez sont de
purs néants. » Qui vous empêche de vivre, colonel ?
— Monsieur Victor, par exemple, avec votre complicité.
— Quelle
complicité ? À n’importe quel colonel de l’armée française, j’aurais donné
un ordre, et tout serait dit. Que voulez-vous de plus ? Vous n’avez pas
tous les droits.
— Tous ?
Non. Probablement. Mais j’en désire, j’en mérite plus – c’est ça, criez – que
beaucoup d’autres. L’égalitarisme est abject. En période de disette, vous
donnerez autant à manger à un enfant de trois mois et à un bûcheron de deux
mètres : c’est cela l’égalité ? Oui, c’est cela l’égalité, c’est de
laisser crever le bûcheron, pour ne pas déplaire à la mère de l’enfant, mieux,
pour ne pas avoir à justifier, à assumer un choix, quand l’absence de choix est
plus confortablement injustifiable. Pour vivre, j’ai besoin d’infiniment plus
de liberté qu’un autre, comme un sportif consomme plus d’oxygène qu’un oisif,
simplement. Cette notion bornée d’égalité comprise comme un nivellement par le
bas est le contraire de la justice, une insulte à la liberté, une agression
même contre elle, mais surtout, au final, une bien mauvaise affaire pour la
société, puisque, vous en convenez vous-même, nous la servons, malgré tout,
malgré tous, nous lui donnons, seuls, sa valeur. Vous me pardonnez de nouveau
une formulation triviale ? Mettez des pv
à Superman pour utilisation abusive des cabines téléphoniques, mais ne vous
plaignez pas de voir triompher les super-méchants.
— Balzac
(l’un des quatre fantastiques avec Bernanos, Bloy et Sade – tiens, j’ai oublié
Vaquette) dirait : « Les hommes nous permettent bien de nous élever
au-dessus d’eux, mais ils ne nous pardonnent jamais de ne pas descendre aussi
bas qu’eux. »
— Vous
me faites chier avec vos citations d’Astignac. J’ai l’impression de retourner à
l’école, le temple, justement, de l’égalitarisme abject. Rien n’a changé. C’est
le triomphe du quatorze. Déjà à l’époque, encore aujourd’hui. Qu’on l’aime le
bon élève, gentil avec ses camarades, déférent envers ses professeurs, et qui,
s’il a la chance de ne pas avoir Vaquette dans sa classe, restera premier toute
l’année avec quatorze de moyenne. Il est du sérail, il finira comme ses
enseignants, avec un capes ou, au
mieux, une agrég’, il les rassure parce qu’il les justifie (ah ! on sert à
quelque chose ! – oui ! à te faire crever les pneus de ta bagnole par
les copains de Joey Starr. Ça y est, je l’ai dénoncé), parce qu’à valeur égale,
ils sont dominants puisque sachant plus puisque plus vieux. Mais celui qui a
dix-huit, dix-neuf, et à qui ils ne mettront jamais vingt, il les ramène à leur
médiocrité, oui, ils enseignent car ils savent effectivement plus, mais évidemment,
ils valent moins. Le rapport de déférence devrait alors s’inverser, puisque
c’est lui qui demain bâtira le monde. Évidemment, c’est socialement
inacceptable, ou alors, il faudrait aux médiocres une humilité lumineuse qui
les exclurait de fait du cercle de la médiocrité, et probablement bien avant de
l’Éducation nationale.
Digression
Regardez
la critique faire l’apologie de la demi-culture (comme on dit demi-mondaine).
Vers qui vont les subventions ? les faveurs de Télérama ? Oh ! non
pas vers les pires bien sûr. Vers le cinéma américain pour adolescents
trisomiques, vers les Boys Band ou Roméo et Juliette, vers le Loft ou Star
Academy, vers Lagaf, André Rieu, Christian Jacq, non, et pourtant, eux ne
mentent pas – enfin, si, tout de même – ils fabriquent un produit positionné
commercialement sur le créneau « entertainment » et la tranche d’âge
dix/dix-huit ans, ménagère de moins de cinquante, ou senior à fort pouvoir
d’achat, et qui n’a rien à voir avec l’art, bien sûr, mais qui distrait probablement
efficacement des millions de gens que je ne connais pas, et qu’il est inutile
de me présenter. Le mensonge, toujours, c’est que les honneurs, les prix
littéraires, les faveurs de la critique, ne sont jamais donnés, ou alors du
bout des lèvres, et quand ils sont exsangues, à ceux qui resteront dans
l’histoire – formulation pompeuse de nouveau, mais celle-là, elle est de vous.
Non, ils vont à Jean-Louis Murat – Jean-Louis qui ? vous voyez, vous avez
déjà oublié son nom – aux jeunes cons qui sortent de la femis, aux livres publiés par la mafia, la triade des
éditeurs qui se partage chaque année le racket du prix Goncourt (comment cette
énorme supercherie que chacun sait peut-elle encore perdurer ? Parce que
tous la couvrent, en se serrant les coudes, attendant en retour qu’on légitime
leur propre médiocrité – mais patience, je vais parler bientôt du Monde) :
toutes ces productions où il n’y a rien, rien qui puisse intéresser le public,
car lui plaire reste le pire des crimes en France, mais rien surtout qui puisse
déplaire à quiconque. Après tout, le critique est un homme, ou une femme, il
est là pour recevoir les paillettes qu’il disperse – toujours le même
glissement progressif de la vérité : j’aime bien La Tordue, je suis comme
La Tordue, je suis La Tordue, et là, mensonge énorme, je suis un artiste –
rires ! Avec La Tordue, évidemment, c’est facile, infiniment plus qu’avec
Vaquette – note pour moi-même : remplacer Vaquette par Costes, je passerai
pour moins antipathique, prétentieux – qui répète inlassable, qui le prouve
surtout : « J’suis pas d’ton monde, j’veux pas qu’on nous
confonde » (oui, je l’ai volé à Joey Starr, toujours lui), et tu le sais,
ou du moins, tu le sens. « On est d’une autre race », n’est-ce
pas ? Vous lui avez craché à la gueule à Ferré, longtemps, et, maintenant
qu’il est mort, qu’il ne peut plus vous contredire, vous remettre, vous laisser
à votre place, vous insulter diriez-vous – mais est-ce que Vaquette vous
insulte lorsqu’il vous rêve meilleur ? oui, finalement –, vous en profitez
pour aller dépecer son cadavre et faire ses poches.
Pourquoi
l’excellence, lorsqu’elle est morte, vous est infiniment plus sympathique que
lorsqu’elle survit, malgré vous ? Comprenez-moi bien, que vous ayez
mauvais goût aujourd’hui, c’est votre problème. Mais comment se fait-il que
vous ayez si bon goût trente, cinquante, cent ans après ? Comment écouter
Ferré, et, le même jour, Juliette ? Pourquoi est-il impossible d’exposer
aujourd’hui un tableau un tant soit peu violent dans une galerie parisienne, quand
partout fleurissent des copies serviles de Picasso ou de Bacon ? Pourquoi
les sales petits cons mauvais qui jouent du Dario Fo au Festival Off d’Avignon
et qui joueront J’veux
être Grand et Beau dans vingt ans, crachent et tapent sur Vaquette dans la
rue ? Pourquoi ne lisez-vous plus Paul Bourget, lui que vous avez adulé et
couvert d’honneurs, de distinctions, pendant que Léon Bloy mendiait devant sa
porte de quoi enterrer son père ? Parce que vous avez changé ? vous
avez progressé ? vous vous êtes amendés même ? – vous y croyez,
vous ? Ou bien alors, parce que la société est – vous voyez, on y revient
– et que les artistes (je parle de nous, pas de mes navrants collègues bien
sûr) sont en avance sur leur temps (souvenez-vous, c’est la formulation qui
excuse) : un artiste est un artiste quand il a transformé le public,
non ? Au bout du compte, vous n’avez rien à vous reprocher, vous faites
pour le mieux – on ne pouvait pas savoir ! Ça ne vous rappelle rien
cela ? Quand on ne sait pas, on ne dit pas, ou alors, on demande. On ne
pouvait pas savoir ? Si, on pouvait, la preuve, moi, je sais, vous n’aviez
qu’à me demander.
Fin de la digression
Digression
Il
y a quelque temps, Edwy Plenel, rédacteur en chef du Monde a réagi violemment à une
critique du journalisme et des journalistes dont Serge Halimi, du Monde
diplomatique, s’est fait une spécialité. C’est exactement ça le triomphe du
quatorze. Edwy Plenel, qui n’est sûrement pas à compter parmi les pires, est
profondément blessé par l’existence même du Monde diplomatique.
Pourquoi ? Parce qu’elle est la preuve tangible qu’un autre journalisme
infiniment plus exigeant est tout à fait possible, d’ailleurs, ce n’est pas un
hasard s’il n’est pas rédigé, en grande partie, par des journalistes. Le
Monde diplomatique (comme d’ailleurs Pierre Carles ou Denis Robert – Denis
Robert, vous connaissez au Monde, non ?) délégitime de fait le
discours de tous les journalistes, de tous sur tout : on n’y peut rien, on
fait le mieux possible, compte tenu des contraintes – c’est faux ! (et toi,
ta gueule ! le pigiste qui t’autocensures tout le temps, parce que
« c’est de la faute au rédacteur en chef qui prend pas les sujets trop
hards, mais attention, c’est pas de la censure, c’est le public qui veut pas
lire ça, entendre ça, voir ça » – nous sommes d’accord, les gens sont donc
des cons – eh bien, fais comme moi, Edwy, dis-le au moins). Oui, monsieur
Plenel, Le Monde est médiocre, il vaut quatorze, comme les livres, les
films, les disques défendus, promus pardon, dans vos colonnes (ou celles de Libération
et des autres, évidemment) sont médiocres, et vous en êtes responsable,
parce que vous manquez d’exigence, Vaquette dirait de courage et d’ambition.
Alors oui, vous réagissez violemment, parce que si on brise la loi du silence,
le mensonge du Goncourt, le mensonge qu’est l’excellence admise du Monde
(ou de Télérama, ou de Gallimard, ou de qui vous voudrez dans
l’establishment culturel – envoyez vos dénonciations à lecorbeau@vaquette.org), alors, il ne vous reste rien,
et vous le savez, comme le savent tous les critiques et la plupart de ceux qui
exhibent fièrement le mot artiste sur leur carte de chômage, et qui, eux, ont
l’élégance de boire pour noyer leur néant.
Fin de la digression
— Non d’Astignac, nous ne sommes pas les mêmes. Oui,
votre culture m’emmerde, parce qu’elle est stérile. Ne vous méprenez pas, je
vous trouve des qualités peu ordinaires, vous êtes évidemment supérieur à
l’immense majorité de vos contemporains, et, pour poursuivre mon analogie
scolaire, je dirais que vous êtes au-dessus de la moyenne, nettement, peut-être
même valez-vous plus que quatorze, mais sûrement moins que dix-huit, moins que
moi. Et c’est justement cette valeur qui vous rend inexcusable – c’est injuste,
non ? Vous pourriez, vous devriez atteindre le dix-huit, le dix-neuf,
l’inaccessible vingt, mais vous craignez de perdre l’estime de vos professeurs,
leur sympathie en tout cas. Meilleur, vous risqueriez, comme moi, de ne pas
être noté mieux, peut-être même moins bien, et d’être finalement exclu à la
première occasion, de perdre votre place, et vous y tenez, à votre place. À
cause de cela, vous resterez là où vous êtes, stagnant, toujours : quel
gâchis ! En ce sens, vous êtes un « ennemi de classe » pour moi
– comprenez classe comme vous voulez. Vous êtes vieux, et ce n’est pas une
question d’âge. À quinze ans, une de mes premières maîtresses trahissait Brel
en chantant : « Il nous fallut bien du talent pour être adultes sans
être vieux », déjà, elle, elle était perdue.
Interlude
Même
pas vrai. À l’époque, j’arrivais pas à me faire de meuf’, et j’avoue, je ne
l’ai pas besognée, trop vite, dans les toilettes du lycée. Comme elle doit le
regretter à présent, avec ses trente-cinq ans, bientôt, ses vergetures, déjà,
son mari, et ses deux gosses probablement – oui, que je l’ai eue ou non, elle,
elle perd toujours à la fin.
Fin de l’interlude
— Lorsque
disparaîtra mon insatisfaction adolescente, puérile, naïve, immature, employez
le terme qui vous complaît, lorsqu’elle ne sera plus le moteur qui me fait
progresser justement chaque jour en tant qu’homme, j’allais dire en tant
qu’adulte, alors, ce jour-là, laissez donc monsieur Victor m’assassiner, je ne
serai plus bon à rien ni à personne. Oui, vous êtes vieux, et votre culture est
stérile, parce que la culture rend stérile, parce que, à trop savoir, il est
d’autant facile de répéter, de sombrer dans le « tout a déjà été dit, tout
a déjà été fait », puis, toujours par le même glissement progressif,
« tout est inutile, à quoi bon ? » Cela ne donne pas même
naissance à un nihilisme destructeur et brillant, je dirais, comme toujours,
joli, peut-être beau, non, il conduit à la pire des laideurs, le vieillissement
bourgeois : rien ne vaut la peine de rien, si ! – la laideur est là,
bien sûr – préserver ma vie, mon confort. Oui, la culture stérilise, et
probablement faut-il brûler les écoles, les écoles d’art du moins, qui forment,
au mieux, de bons copistes, l’exact contraire d’un artiste. Avec de l’inculture
remarquez – écoutez du hip-hop (sauf nwa,
sauf Svinkels, sauf tous ceux que je cite et que j’aime bien, finalement) – on
croit inventer quand on ne fait que copier, sans même s’en rendre compte, un
fond d’inculture populaire. Alors ? la solution ? Beaucoup de culture
finalement, mais infiniment plus encore de rage iconoclaste, pour briser tout,
tout ce qu’on a appris déjà. Non, ce n’est pas une digression, je parle encore
de vous. Votre culture est un outil fabuleux, mais que vous avez dévoyé. Il
devrait servir à la révolte, vous l’utilisez pour la lutte, la lutte pour la
place. Votre intelligence, votre sens social, votre autorité naturelle, le
contrôle admirable que vous avez de vous, votre ouverture d’esprit, car vous
êtes incontestablement moins borné que la plupart, votre ambition, votre
culture surtout, tout cela, ce sont des outils, superbes, mais ce ne sont que
des outils. Qu’en faites-vous ? Le prisonnier dans sa cellule, s’il veut
s’évader, il creusera un tunnel. Certes, il peinera infiniment plus avec une
petite cuillère qu’avec un marteau-piqueur, mais, s’il veut vraiment sortir,
jusqu’à ses ongles lui suffiront, quand son voisin de cellule, armé d’une
tracto-pelle, restera à l’intérieur (à l’étroit lui aussi, à cause de la
tracto-pelle) par peur que le bruit n’attire les gardiens, par incapacité à
imaginer une évasion réellement possible. Moi, je creuse, avec un bulldozer
bien sûr, à la dynamite aussi, souvent, mais à choisir, je suis du camp de ceux
qui creusent, pas de ceux qui ont un bulldozer et de la dynamite, et qui,
d’ailleurs, pour la plupart, construisent les prisons. C’est un grand privilège
d’être doué pour tout, une grâce même, c’est aussi un devoir. Votre valeur,
d’Astignac, car j’insiste, vous en avez à mes yeux, à quoi sert-elle ? À
citer des auteurs qui, à chaque phrase prononcée, pourraient se lever d’entre
les morts pour vous montrer du doigt : et toi ? fais-tu bien ce que
tu répètes ? et puis aussi, pour écrire simplement une de ces phrases,
as-tu payé, es-tu crevé seul contre tous ? et la réponse, bien sûr, serait
deux fois non – « Tique, tu as plus de sang que moi », voilà la
dernière phrase du chien exsangue. À quoi servez-vous ? À quoi
servez-vous, d’Astignac ? À donner les meilleures places aux pires ?
— Ah !
nous y voilà. C’est donc une question de place ? Je vous offre celle que
vous voulez. Procureur, juge, chef de la police, président de l’Académie des
sciences, ministre même, ministre de la Culture, cela vous tente
Vaquette ? – je ne plaisante pas. Vous voulez la place de Pipard ? Je
vous la donne à l’instant, sa tête en prime. Mieux encore, je vous fais publier
au Seuil, passer chez Ardisson, faire la couv’ des Inrocks, jouer quinze
jours à la Cigale, gagner la grosse caillasse, la bm, les tasses et la paire de Nike. Alors ?
— Je
signe où ? Sérieusement, vous me donnez la place que je veux ?
— Oui.
— D’accord.
Nommez-moi champion du monde du cent mètres papillon.
— Vos
provocations ne m’irriteront pas, savez-vous ?
— Je
sais, je suis même distrayant pour les gens comme vous. Mais ce n’est pas une
provocation. Je suis sérieux. Alors ?
— Vous
savez bien que c’est impossible.
Digression
Vaquette
est un gros enculé de libéral. Je suis un gros enculé de libéral. Je suis pour
la compétition sociale, parce que l’ambition et l’émulation sont génératrices
d’excellence, parce que, aussi, la compétition est juste. Rappelons en effet
qu’on ne fait pas courir ensemble les plus de soixante ans et les moins de
vingt-cinq, les hommes et les femmes, les handicapés et les valides, les
brasseurs et les crawleurs. Qu’on ne compare pas des temps sur cinquante et sur
mille cinq cents mètres. Qu’on a les mêmes conditions de course que l’on soit
fils de nageur, ou fille d’immigrés roumains. Que l’on est déclaré vainqueur
lorsqu’on touche le premier le mur à l’arrivée, que Télérama (disons L’Équipe),
dans une boîte de nuit goudou et branchée, trouve que vous nagiez infiniment
mieux, ou pas, que vos adversaires, que vous ayez sucé ou non les juges. Enfin,
et surtout (mais Vaquette est-il finalement réellement libéral ?), le
vainqueur est avant tout fier de son temps, de sa victoire sur lui-même,
d’avoir approché ses limites, il sait le jeu qu’est la compétition, serre la
main du dernier, souvent avec une fraternité sincère, en tout cas, jamais il ne
noiera un adversaire sous prétexte qu’il a perdu, qu’il est plus faible, qu’il
peut en profiter.
Fin de la digression
— Voilà,
tout est là. Je suis certain, en guise de commentaire, que vous allez
d’ailleurs nous éclairer la scène d’une citation bienvenue… si, si… j’insiste.
— « Des
services ! des talents ! du mérite ! bah ! soyez d’une
coterie » – Télémaque.
— Vous voyez. Encore une phrase qui vous délecte, et
pourtant (je vais citer à mon tour) : « Vous faites tout le contraire
de ce que vous dites, tout le temps » (Vaquette). Vous êtes trente autour
d’une table d’état-major, et, dans votre poche, il y a Balzac, Bernanos, Bloy,
Sade, ou Vaquette, et vous vous dites, « Je ne suis pas comme eux »,
et cela vous suffit. Peut-être même êtes-vous trente autour de la table, avec
chacun un livre dans votre poche qui vous dites, à vous-même, « Je ne suis
pas comme eux. » Mieux encore, vous êtes vingt-neuf autour de la table
avec un livre dans la poche, et le trentième, dont la poche est vide, vous
regarde et sourit, il est comme vous pourtant.
— Le
mépris que vous affichez pour moi, votre paternalisme même, commencent
sérieusement à m’échauffer. Vous êtes injuste, et je ne serai pas le premier
personnage de ce roman à vous le reprocher.
— Vous
pensez à Bixente ? Lui, au moins, était à mes côtés au combat, ça me le
rend infiniment plus estimable. Voulez-vous un adage vaquettien ?
« Si tu ne veux pas être méprisé, ne sois pas méprisable. » Plus
vaquettien encore ? « Si tu veux être haï, sois admirable. »
Interlude
Si
tu veux être estimée, sois estimable, si tu veux être aimée, sois aimable, si
tu veux être désirée, arrête les bas résille, les chaussures compensées et la
jupe moulante ras-la-foune, ou apprends au moins à sucer. Et puis, si tu veux
que quelqu’un s’intéresse à toi, tâche d’être un peu intéressante. Oh !
ça, c’est méchant – oui.
Fin de l’interlude
— J’ai
une idée, comme toujours. Vous désirez deux choses : que je retourne au
combat, et que je vous estime à mon égal, eh bien soit, cela ne tient qu’à
vous. Dans un premier temps, déjà, faites acquitter Jasper l’IncroyablE, j’y
tiens, puis, partons en mission, sur le terrain, simplement tous les deux,
ensemble – voulez-vous ?
— Vous
savez bien que c’est ridicule.
— Pourquoi ?
Vous êtes général. Probablement savez-vous mieux vous battre qu’un simple
colonel.
— Arrêtez
Vaquette !
— D’accord, j’arrête, je crains de vous voir perdre tout
à fait votre admirable emprise sur vous-même, mais ne me demandez plus de vous
imaginer mon égal. J’ai infiniment plus d’estime pour le Doktor Ickx, chef de
la Gestapo, que je n’ai pas assassiné contrairement à ce que pourraient laisser
croire vos assertions, mais que je voulais faire évader – voyez, j’avoue – par
fidélité, par devoir, par pouvoir peut-être, et qui n’exigea de moi que mon
arme pour mettre fin dignement à ses jours. Je doute que vous soyez capable
d’un tel geste. Moi, j’en suis capable, et cela nous sépare – patience, il ne
me reste que quelques chapitres pour savoir si je mens. Oui, le Doktor Ickx
avait raison, je ne serai jamais au centre de votre monde, ce rôle vous est
dévolu, probablement surtout à d’autres d’ailleurs, encore plus haut placés.
Non d’Astignac, je ne veux pas de la place que vous m’offrez, et je regretterai
de ne pas être publié au Seuil, quoique… (interlude : quant aux tasses,
dans la bm, qui font la planche,
ou, au mieux, jouent à la pute de porn’ comme leurs petits frères jouent aux
bad boys du gangsta rap…), car ce serait la clef de ma cellule, bien sûr, mais
assortie de la menace de m’enfermer de nouveau s’il me prenait l’envie de faire
un tour un peu trop long, un peu trop loin dehors, non, pire peut-être,
assurément plus pervers, retors, machiavélique, assortie de la promesse de ne
jamais sortir, sans vous en demander l’autorisation préalable du moins. Je
regarde le sol, je regarde les grilles, je regarde la clef que vous me tendez,
et je préfère continuer à creuser par moi-même, et, seul, obtenir ma liberté.
Ne vous inquiétez pas pour moi, je gagne toujours à la fin. Si vous préférez,
je suis certain que vous ne me liquiderez pas, parce que je suis indispensable
au monde, quand vous ne lui êtes qu’utile.
— Vous
êtes ridicule de fatuité.
— Sûrement,
mais c’est par ce qu’on se croit, qu’on feint de se croire pour exaspérer ses…
« ennemis de classe », irremplaçable, que l’on grandit chaque jour
par l’exigence, que l’on finit vraiment indispensable, et immortel aussi. Et
puis, je ne suis pas si imprudent que vous pourriez le croire, j’ai encore une
dernière carte dans ma manche, deux même : Artémise et Bixente. Vous
pouvez me lâcher, salement, eux ne m’abandonneront pas.
— Vous
témoignerez donc ?
— Évidemment.
— Votre mégalomanie, votre égocentrisme, votre
outrecuidance, votre mépris des gens vous aveuglent tout à fait. Tant pis pour
vous. Je vais vous dire adieu, pas même bonne chance, sur une ultime citation,
malgré votre sourire méprisant. Elle est prophétique, je n’en doute pas,
d’ailleurs écrite par quelqu’un qui, bien avant vous, s’est essayé à cette
stratégie du suicide : Léon Bloy, bien sûr. Oui, bientôt, et je ne sais
même plus si je le regrette, vous allez « sentir le néant de la force,
l’inutilité de l’héroïsme, la désespérante vanité de tous les dons ».
Il
sort.