Digression
J’ai
trouvé. Un titre. Un nouveau titre pour ce roman. Un bien branché, furieusement
tendance, avec lequel je suis certain d’être édité, peut-être même acheté, pas
lu bien sûr, mais relayé par Les Inrocks, Nova, Ardisson ou Libé :
Journal de bord d’un maniaco-dépressif. Non ? Tu veux qu’on rajoute
« inceste » dedans ? Le prix peut-être : 19,90 euros.
Fin de la digression
À
l’instar du premier rappeur venu qui s’est fait voler sa casquette Nike par un
officier de la bac, j’ai la rage,
j’ai la haine, je suis vénèr’, oui, car ils m’ont mis la fièvre. Et puis, à
l’instar du même rappeur que la maîtresse guyanaise quitte pour retourner avec
Costes – Dieu que ce roman est people – je suis triste, infiniment, comme
souvent semble-t-il. Le mélange des deux m’est décidément coutumier, je
l’appellerai misanthropie, ça n’étonnera personne.
Digression
Que
croyais-tu mon p’tit Vaquette ? Comme tu es naïf ! quoi qu’en dise
Artémise. Ainsi, tu espérais que tes actes, ils les aiment pour ce qu’ils
sont ? Pauvre enfant, ils les aiment pour l’utilité qu’ils en tirent, et
tant qu’ils restent dans ton halo, éclairés, même faiblement, par ta lumière –
tant qu’ils comprennent. Ton roman regorge déjà d’anachronismes,
d’incohérences, d’aberrations, d’approximations historiques, sportives,
scientifiques ou militaires, tu ne le voulais tout de même pas totalement
irréaliste, absolument chimérique, s’achevant sur ton triomphe, le peuple de
France, allez ! même quelques-uns, à genoux avec grâce devant tant de
grandeur ? Si ? Tu croyais vraiment toujours gagner à la fin ? Tu
étais contre, et pourtant pour, disais-tu ? ce temps est révolu, sois-en
certain.
Fin de la digression
Je
rentre chez moi, enfile mon uniforme, accroche mes médailles sur ma poitrine,
place un pistolet dans mon holster, un autre caché sous mes vêtements, prends
quelques chargeurs, deux grenades aussi, et, un pistolet-mitrailleur à la main,
retourne pacifiquement en ville, mais bon, faudra tout de même pas trop me
faire chier.
Interlude
En
anglais, j’aime bien le mot : wander, pour son sens, bien sûr, probablement
aussi pour sa proximité phonétique avec wonder. Ça me rappelle une chanson de
Mélanie :
« I’ve gotten rid of my guilt and my lily-white
[…] Just go wandering alone to learn that I’m the guide
At least it keeps me believing. »
Et
puis, quelque lignes plus tôt.
« We use to be glowing
But I wouldn’t be growing now
[I would be dying]
If I needed you. »
Fin de l’interlude
Je
marche dans les rues sans but réel, sans but avoué, mais mes pas me conduisent
naturellement au siège de la kommandantur désormais pavoisé en bleu blanc
rouge. Je me dirige vers l’aile gauche, pénètre à l’intérieur du bâtiment, sans
sauter le mur d’enceinte, sans frapper les gardes, non, ils me saluent même.
Digression
Voilà,
les distinctions sociales ne servent qu’à cela, et ce n’est pas rien, comme la
nationalité française n’est rien d’autre qu’un outil, infiniment plus pratique
que l’algérienne, pour obtenir un visa vers un pays étranger, et ce, quelle que
soit la destination (peut-être même l’Algérie, cruellement, si on est opposant
politique).
Fin de la digression
Je
monte l’escalier, un frisson violent dans la colonne vertébrale, me dirige, mû
par une évidence, vers la salle d’interrogatoire. Peut-être ai-je tout bêtement
besoin de me rassurer, de m’assurer que je suis bien le héros que je prétends
être, ou, au contraire, d’éprouver quelques regrets, de faire taire par avance
d’éventuels remords quand tous me reprocheront mes actes – tout ça, pour ça,
pour eux ? Oui, à cet instant, ma pensée est absolument noire.
Digression
Je reviens sur mes pas – dans la forêt profonde – croise
de nouveau le rat crevé, le corbeau, le vautour, les quelques chauves-souris,
les arbres noirs, le vent violent, le froid glacial, les marais profonds, mais
la pancarte du chapitre 30 n’est plus là. À sa place, un simple mot griffonné à
la main : « Niqué Vaquette. »
Fin de la digression
Je
passe devant ma cellule, mon ancienne cellule disons, j’avise la porte, des
picotements violents irradient tout mon corps, la sensation est féroce, telle
que je l’attendais – je souris. Je m’approche encore, tends la main, saisis la
poignée, et là, venant de l’intérieur de la salle, j’entends une voix qui ne
m’est pas tout à fait étrangère.