Le
lendemain matin, je commençai la tournée des clubs de boxe de ma région, de
boxe française bien sûr, probablement par fidélité au charme désuet des Brigades
du Tigre.
Digression
Je
vous parle boxe, parce que j’y ai beaucoup appris, beaucoup appris sur moi
surtout.
J’ai
toujours été habité par une très grande violence. J’ai toujours haï la
violence. Voilà l’une de mes névroses, probablement pas la moindre. Ajoutez à
cela, pour compliquer le tout, ma lucidité qui me glisse à l’oreille :
es-tu bien sûr que c’est moi, et moi seule, qui t’interdis tout débordement
agressif, ne serait-ce pas plutôt ta lâcheté, ta peur des coups ? – ta
gueule, t’es chiante.
Une
névrose est, potentiellement, un moteur fabuleux, puisqu’elle interdit, sauf à
rester en état de mal-être, l’immobilité. Elle force donc à résoudre
dialectiquement les deux termes de la contradiction qui la créent, à trouver un
compromis tenable et conscient entre deux parties de soi apparemment
inconciliables, ou bien à trancher, à aller vers sa nature profonde contre sa
nature apparente. Bien sûr, on peut, confortablement dans un premier temps,
faire l’exact contraire, et nourrir ainsi sans fin sa névrose.
La
boxe est un excellent vecteur de ce compromis. Parce qu’on s’y tape bien sûr
(je dis ça aux mamans désireuses de faire faire du sport à leurs garçons
turbulents, ou aux filles qui veulent se venger du salaud qui les a plaquées
pour une blonde aux gros seins), mais, parce qu’il s’agit d’un sport, presque
d’un jeu, le protège-dents en plus, parce que cette violence bien réelle est
expurgée, disons, distanciée de sa colère, de sa haine, parce qu’enfin, à moins
d’affronter Mike Tyson, on n’y risque pas une morsure à l’oreille, pas plus
qu’un doigt dans l’œil (avec les gants, remarquez…), ou, comme dans le combat
de rue, un coup dans les couilles porté par surprise qui vous laisse à terre,
fini à coups de botte ferrée, sans espoir aucun de refaire votre retard aux
poings, on a là la seule part, jolie j’allais dire, disons respectable, en tout
cas inconséquente, de la violence.
Fin de la digression
— Tu
t’prends trop la tête, me dit dès l’après-midi même Bixente qui manifestement
lit mes digressions. Regarde-moi, regarde-le l’enculé par terre, est-ce que je
le finis à coups d’pompe, à coups d’barre ? Non ? On lui a juste
donné une p’tite leçon pour qu’il comprenne que maintenant, il va faire profil bas
et plus faire chier personne jusqu’à ce qu’on ait viré Pétain à coups d’pied
dans l’cul. Hein ? Dis au monsieur qu’t’as compris !
— Oui, ok, c’est bon, j’vais m’écraser.
Et
c’était vrai, il avait l’air convaincu, moi moins. Pourtant, dès le lendemain,
nous recommencions dans une autre piscine, jusqu’à visiter en quelques mois
toutes celles de la région, poursuivant nos exactions, notre lutte pardon, avec
la tranquillité de deux pères de famille jouant aux boules le dimanche.
Ainsi, sans avoir véritablement résolu grand-chose dans
mon rapport à la violence, tranchant contre ma raison pour ma nature profonde,
à moins que ce ne soit finalement l’exact contraire, avec pour seule ambition
un peu ridicule de n’être pas lâche à mes yeux, avec aussi la fierté d’aller
contre, contre ma nature apparente, peut-être même contre moi, sûrement contre
ma (bonne) conscience, probablement bourgeoise (je veux dire pusillanime,
lâche, modérée), surtout avec l’espoir d’être demain plus fort, je commençai à
dériver vers une lutte définitivement plus violente.