Lorsque je reprends connaissance, je suis attaché sur
une estrade – ah ! comme elle doit les irriter mon
arrogance en cet instant – exhibé à la foule. La suite ? tu la connais,
ami lecteur : les insultes, les crachats, les coups, puis, des cris, des
insultes, quelques coups de feu aussi, et, sans même être sorti major du dea de tuerie collective de
Saint-Cyr-Coëtquidan, je comprends qu’une altercation oppose des gens fort peu
contents, à d’autres, très en colère aussi, et j’ai la certitude que cette ire,
ces tirs aussi, ne me sont pas tout à fait étrangers. Quelques secondes plus
tard, quarante-deux chapitres plus tôt, des militaires en armes dispersent la
foule pour me libérer. Parmi eux, je reconnais Artémise, Bixente, et d’Astignac
aussi. C’est là que mes ennuis ont vraiment commencé.
Artémise se dirige droit vers moi, radieuse. Le chef des
résistants (vous voyez, j’y suis arrivé, du premier coup), le visage toujours
tuméfié, à peine moins sanguinolent, l’interpelle, crie, la menace de sa main
levée :
— T’étais
où tout ce temps, salope ! Qu’est-ce que tu fous là ?
Calmement,
bien sûr, elle répond, avec un grand sourire :
— Mais
c’est à moi de te demander cela, mon amour. Tu n’es pas au café ?
Il s’énerve plus encore, abat sa main vers le visage
d’Artémise, lui crie « Rentre à la maison, tout de suite », puis,
couine, et s’écroule de nouveau, frappé par Bixente. Elle s’approche, se penche
vers lui, et, doucement, très doucement, lui dit :
— Non.
Je ne rentre pas à la maison. Je ne rentrerai plus jamais à la maison.
Il
balbutie, crache du sang, désorienté, perdu, comme tous, semble-t-il, dès que
nous apparaissons :
— Tu ne
peux pas faire ça ?
— Si, bien sûr, je le peux. Demande au colonel Vaquette,
il t’expliquera : la continuité, la rupture, la fidélité, la prescription
des fautes, le courage, la responsabilité, la liberté bien sûr. Je doute que tu
comprennes. Je te laisse tout, rassure-toi. Je vais vivre, enfin. J’espère que
toi aussi. Je ne t’en veux pas.
Disant cela, elle me regarde, sourit, de son joli
sourire, et je comprends soudain à quel point ils m’ont manqué, malgré tout.
Elle saute sur l’estrade, se jette dans mes bras. Nous nous serrons longtemps,
sans rien dire. M. Legrand se méprend, bien sûr, la jalousie déforme plus
encore son visage, il sort de sa ceinture un revolver, puis le lâche quand
Bixente lui écrase la main avec sa Ranger, avant de conclure par un conseil, un
bon conseil :
— Toi,
l’alcoolique, tu bouges pas, sinon, c’est ma Rangeo dans ta gueule.