— Ici,
enfin, à quelques pas dehors, en Angleterre, la sagesse populaire nous
suggère : « Where
there is a will, there is a way. » En France, nous disons :
« Quand on veut, on peut. » Et puis, je compléterai, si vous me le
permettez, par quelques citations. Épictète : « Homme, tu possèdes
par Nature une Volonté qui ne connaît ni obstacle, ni contrainte. »
Confucius : « On peut enlever à un général son armée, mais non à un
homme sa volonté. » De Baïf : « La bonne volonté trouve le moyen
et l’opportunité. » Spinoza : « La volonté et l’entendement sont
une seule et même chose. » Kant : « Il n’y a que ce qui est lié
à notre volonté qui puisse être un objet de respect et par conséquent un
commandement. » Royer-Collard : « La volonté est le seul
principe générateur qui se rencontre dans la nature humaine. »
Vinet : « Il a été donné à la volonté de modifier le monde, comme il
a appartenu à la parole de le créer. » Balzac : « En l’homme, la
Volonté devient une force qui lui est propre et qui surpasse en intensité celle
de toutes les espèces. » Dostoïevski : « La volonté est la
manifestation de toute la vie humaine. » Nietzsche :
« Transformer tous les “cela fut” en un “c’est là ce que j’ai voulu” –
voilà ce que j’appellerai d’abord rédemption. Vouloir délivre. »
Wittgenstein : « La volonté est une prise de position à l’égard du
monde. » Et comment ne pas conclure, bien sûr, par :
« Impossible n’est pas français », « De l’audace, encore de
l’audace, toujours de l’audace », et Molière pour finir : « Je
le veux, je le veux, je le veux. » Oui, messieurs, madame, nous sommes à
présent réunis pour honorer un commando d’exception, et, à travers lui, la
volonté d’un homme.
Digression
Si
Barbara a chanté Il
pleut sur Nantes, si Ludwig von 88 a chanté Il pleut des bombes,
personne, à ma connaissance, pas même Vaquette, ne s’est aventuré à commettre Il
pleut des dithyrambes.
Fin de la digression
Ajout
C’est
de plus en plus n’importe quoi tes digressions, Vaquette.
Fin de l’ajout
La
suite du discours de d’Astignac est digne de mon hagiographie, je suis un
héros, un être unique, le monde est là par et pour moi, ou presque. On croirait
m’en tendre, sauf que ses paroles, à lui, sont de circonstance.
Digression
La
vraie provocation, j’ai mis des années à le comprendre, ce n’est pas de dire
bite, couille, trou, poil, foune, ni même bien sûr « fume du teuteu »
ou « nique la police », mais plus brièvement « je ».
Fin de la digression
Lorsque nous sommes revenus dans la salle, la cérémonie
avait déjà débuté. Personne ne nous a alors regardés, ostensiblement du moins,
pas plus que quiconque n’a semblé remarquer l’absence de Stéphane. Les discours
ont succédé aux discours, les remises de médailles aux promotions. Trois
heures. Je pense, pour me distraire, car je m’ennuie terriblement, qu’en trois
heures, avec autant d’hommes, j’aurais pu en détruire des laboratoires de
recherche, des stocks d’armes, des centres de commandement, des usines
stratégiques, probablement même libérer un ou deux camps de
concentration : que les Juifs, les homosexuels, les Tziganes, les
résistants, et autres prisonniers « éthiques », ethniques ou
politiques, pardonnent au protocole.
Je suis
triste, infiniment. Oui, je suis triste, infiniment, de notre dispute sordide
avec Stéphane – au voleur, au voleur, on m’a volé mon cœur, monsieur Victor m’a
dérobé mon jour de gloire.
Digression
Dans
la lutte, on triomphe, ou bien on meurt : on gagne encore. Dans la
dispute, la relation conflictuelle sociale, vulgaire, on perd, ou bien on use
d’un pouvoir minable sur un adversaire qui ne vous vaut pas, qu’on humilie,
qu’on blesse : on perd encore. Je reste chaque jour étonné de voir, de
sentir à quel point de telles péripéties anecdotiques m’affectent, peuvent me
briser, m’ébranler plutôt, me blesser disons, pour quelques heures.
Fin de la digression
Le
discours de d’Astignac se conclut :
— Enfin,
permettez-moi d’achever ce portrait par une ultime citation, elle est de
Jean-Edern Hallier : « La classe, c’est de faire modestement mais
avec un orgueil inouï ce pour quoi l’on est fait. »
Des applaudissements accompagnent notre montée sur
l’estrade. Bixente, étonnamment docile, souple, déférent, Artémise, fière, la
larme à l’œil, reçoivent de de Gaulle leur croix d’Alsace-Lorraine, leurs
galons de capitaine.
Ajout
Vaquette,
je trouve que tu la fais souvent pleurer, Artémise. Ne serais-tu pas sordidement
prisonnier de préjugés misogynes ? Allez Vaquette, avoue, t’es
macho ?
Fin de l’ajout
Moi, j’ai mon Grognard d’or promis chapitre 12, mon
titre de plus jeune colonel de France volé à Fajardie, ainsi que la Silver tea
spoon, plus haute distinction militaire britannique jamais remise à un
étranger. Je vais vous étonner, disons que je m’étonne, mais ma tristesse, mon
indifférence aussi, ne se dissipent pas alors brutalement. D’Astignac, en
revanche, à l’instant de sa promotion, malgré son self-control peu ordinaire, brille
des mille feux de la vanité.