Dans
les années cinquante à l’Écluse, Barbara chantait déjà : Un monsieur me
suit dans la rue. « Eh bien, moi aussi ! eh bien, moi aussi ! eh
bien, moi aussi ! » (Victor Hugo, in Angelo, Tyran de Padoue,
deuxième journée, scène iv), oui,
un monsieur me suit dans la rue, un grand type, qu’on évitera devant lui de
qualifier de gros, par prudence, par souci d’exactitude aussi. Je le reconnais,
me souffle Pascal Sevran, c’est mon grand costaud, c’est ça, jadis on l’eût
appelé une force de la nature.
Il se
rapproche, m’aborde : « Je peux te dire deux mots ? » Ma
dernière heure allait sonner, c’est alors que j’me suis r’tourné.
J’étais
pas fier, enfin si, mais je n’en menais pas large. Je pressentais assez bien le
poids de ses mots, le choc de ses coups de pompe dans la gueule :
« Moi mon sport, c’est pas natation, c’est rugby. J’ai vu ton p’tit
numéro, à mon tour de te jouer la troisième mi-temps » (ne riez pas, ça
m’est vraiment arrivé – là, c’est l’auteur qui parle, faudra vous y habituer –
en sortant de scène à Valence-d’Agen). Alors, j’ai fait un vœu, à sainte Rita,
c’est la patronne des causes perdues : si je me sors de ce coup-là, dès
demain, je fais boxe, sérieusement, avec la même détermination, la même
opiniâtreté que j’ai mises à la natation.
Digression
Vaquette !
De même que le haschich conduit inexorablement à l’héroïne (Sarkozy te le
dira), prends garde, ta violence entraînera d’autres violences, et, auparavant
bien sûr, ton éviction infamante de l’Union pacifiste (http ://www.unionpacifiste.org).
Fin de la digression
— Ça
fait plusieurs fois que je suis ton p’tit manège à la piscine. C’est bien.
C’est sympa. Mais on peut faire mieux. Moi, c’est Bixente, Bixente Majakovic
(prononcez Maïakovitch).
— Oh !
joli mélange.
Digression
En
espagnol, tout le monde sait cela ou presque, nada veut dire
« rien ». Ce qu’en revanche peu savent, c’est qu’en serbo-croate,
cela veut dire « espérance », drolatique non ? Allez ! encore
un peu de culture slavophile, cela pourrait vous servir pour la suite de ce
roman. En russe, Sofia, la sagesse, a trois filles : Nadiejda,
l’espérance ; Véra, la foi ; et Lioubov, l’amour.
Fin de la digression
— Ouais,
et qui explique entre autres pourquoi j’aime pas les fafs.
— Moi,
c’est Vaquette, Tristan-Edern Vaquette. Ça n’explique rien du tout. C’est quoi
ton amélioration ?
— La
même chose, sauf qu’aux ordures racistes, on leur pète la gueule, ça leur
passera l’envie d’être cons.
— Pourquoi
as-tu besoin de moi pour faire ça ? Tu es assez grand, c’est le cas de le
dire, pour agir seul.
— Justement.
Juif ou pas juif, t’imagines des mecs, même très cons, venir prendre la tête à
un type gaulé comme moi ? Et puis, je t’ai regardé, tu fais ça avec un tel
aplomb, un tel air de « j’vous encule profond », moi, j’pourrais pas.
— Mais,
si nous tapons ceux qui sont différents de nous, ceux qui ne pensent pas comme
nous, où sera la différence, justement, entre eux et nous ? La phrase de
l’imposture, de tous les reniements, est celle-ci : la fin justifie les
moyens.
Digression
Ami
lecteur, prends un instant, et note :
La
phrase de l’imposture, de tous les reniements, est celle-ci : la fin
justifie les moyens.
Fin de la digression
— C’est
des conneries d’intellos ça. Ils mettent des mots compliqués pour expliquer
qu’ils ont la trouille mais que c’est pas de la trouille. Je t’ai vu toi. Tu
chies pas dans ton maillot de bain, t’es pas de leur race.
— Je
vois sans déplaisir que tu n’as pas lu les premières lignes de ce chapitre, tu
as pourtant raison. Mais sois certain aussi que je n’appartiens pas non plus à
la race des cons qui tapent. Tu sais, l’ordure, comme tu dis, qui m’agresse à
la piscine, lui aussi, il est persuadé, de bonne foi, que le Juif est
responsable de ses malheurs, que c’est un salaud qui, en plus d’avoir, il y a
certes longtemps, vendu Jésus, est aujourd’hui responsable de son indigence
financière, à lui, à défaut de son indigence intellectuelle dont il n’a pas
conscience.
— C’est
pas pareil, nous, on sait bien ce qui est juste. On voit bien qu’il y a les
bons, et les salauds, et que les salauds c’est pas nous. Si y a que des types
comme nous, y a pas d’embrouille. C’est eux qu’ont commencé. C’est eux qui
veulent pas qu’on vive. Nous, on s’défend, c’est tout. De toute façon, t’as pas
le choix. Ça fait plusieurs fois que tu fais ton numéro dans la même piscine,
ils sont pas plus cons que toi (pardon ?), ils vont bien finir par s’en
apercevoir, et tu crois qu’eux, ils vont longtemps se poser la question avant
de te marave ? Maintenant, il y a plus que deux camps : t’es avec eux,
ou t’es pas avec eux. Je t’ai regardé, je me trompe pas je suis sûr, t’es pas
avec eux. Alors, tu vas quoi ? Continuer à montrer ta bite jusqu’à ce que
t’en aies marre de t’en prendre dans la gueule tout seul et que tu finisses par
t’écraser, ou tu vas leur déclarer l’enfer ? C’est une lutte à mort
maintenant, c’est tout simple. Tu fais quoi ?
— Je
regarde ma montre.
— Quoi ?
— Il est trop tard pour trouver une piscine encore
ouverte ce soir. Rendez-vous ici, demain, à 15 heures.
Dans la
forêt profonde, un chemin semblait se dessiner, plus au nord qu’à l’est
peut-être. Pour y accéder, il fallait écraser quelques bestioles, et j’avais
beau me répéter que c’était des nuisibles, c’est un autre argument aussi peu
convaincant mais infiniment moins lâche, « rien n’a d’importance, sauf,
peut-être, moi, pour moi », qui me décida tout à fait, heureux quand même
que Bougrain-Dubourg ne fût pas encore inventé.