Chapitre 33
:
Je plaisante

Je plaisante, bien sûr

Je plaisante, bien sûr.

Artémise me tend un pistolet-mitrailleur, je le saisis, nous roulons, vite. Je me retourne, personne ne semble nous suivre. Devant, aucun barrage. Nous sortons de la ville, toujours rien. Au bout d’une demi-heure, après avoir roulé sur des petites routes de campagne, Bixente entre dans un sous-bois, parcours encore une centaine de mètres, stoppe le véhicule, coupe le moteur.

— À minuit, un avion vient nous chercher pour nous emmener à Londres. Tu vas bien ?

— Mieux. Je suis content de vous voir.

On s’est raconté nos vies, comme dans une chanson de Patrick Bruel, sept jours tout de même infiniment plus denses que dix ans de l’un de ses personnages. Après ma capture, Bixente, inquiet de ne pas me voir revenir, est monté me chercher à la lueur de son briquet. Quand il m’a entendu lui crier de se sauver, il a réussi à s’enfuir avec Artémise malgré les tirs allemands. Ils ont alors rejoint le maquis de d’Astignac, y ont retrouvé Stéphane, et ont pris tous les quatre un avion pour Londres la nuit même, juste avant que le jour ne se lève (j’en déduis que monsieur Victor n’a pas « donné » le maquis, simplement moi, joignant sans doute l’agréable à l’utile. Bixente, lui, en déduit qu’il aurait dû le buter. Je ne suis plus sûr qu’il ait tout à fait tort – je dois vieillir, définitivement). Artémise a alors pu être soignée, sa blessure étant effectivement relativement bénigne. Bixente, lui, a demandé dès son arrivée un commando à d’Astignac afin de retourner en France pour me libérer. Il a refusé, arguant que l’on était repérés, qu’une telle mission était bien trop dangereuse, qu’après m’avoir perdu, il ne voulait pas prendre le risque de se priver de deux éléments si précieux, aussi de mettre en danger la vie d’un de ses commandos, qu’en toute hypothèse, il était déjà trop tard. Bixente insista tous les jours. Au bout du cinquième, il se décida à rentrer seul en France. Artémise, presque remise de sa blessure, insista à son tour pour l’accompagner et il ne put s’y opposer, pas plus que d’Astignac, qui, à court d’arguments, les fit déposer la nuit même, avec des armes, des faux papiers et des consignes pour un rapatriement vers Londres.

Arrivés, ils se postèrent en planque devant l’annexe de la kommandantur où se déroulent les interrogatoires. Qu’espéraient-ils ? La confirmation de ma présence ? Mon transfert vers un camp ? Plus probablement mettre au point un plan d’action avant d’attaquer la nuit même. Certainement pas en tout cas me voir sortir ce soir-là, apparemment libre. Ils m’ont suivi, jusqu’à chez moi, ne sachant que penser. Ils sont alors restés devant ma porte, et, après plus de dix-huit heures d’attente, ne me voyant pas apparaître, ils s’apprêtaient à tenter le tout pour le tout en pénétrant chez moi lorsque je suis enfin sorti. La suite, tu la connais, ami lecteur, moi aussi.

Je leur raconte à mon tour ma détention, mes tentatives d’évasion, les menottes, les entraves, la chaîne, la torture bien sûr, la baignoire, l’électricité, les coups, la douleur, la peur aussi, un peu, Maillard, le Doktor Ickx enfin, et ma libération. Je leur répète les diverses hypothèses la concernant, en ajoute une : je suis un traître, mieux, un espion à la solde des nazis. Artémise réplique d’un cri touchant :

— Non ! C’est impossible !

Bixente ajoute :

— Les Allemands sont forts. Vraiment. Ils t’ont bien maquillé.

À minuit moins le quart, nous installons les torches sur le terrain d’atterrissage selon le dessin convenu. À minuit, l’avion se pose, nous éteignons les torches, les rangeons. À minuit cinq, nous décollons, quand, soudain : rien, il ne se passe rien, j’en suis presque étonné. Au milieu de la nuit, nous arrivons à Londres, sains et saufs.