Je
plaisante, bien sûr.
Artémise
me tend un pistolet-mitrailleur, je le saisis, nous roulons, vite. Je me
retourne, personne ne semble nous suivre. Devant, aucun barrage. Nous sortons
de la ville, toujours rien. Au bout d’une demi-heure, après avoir roulé sur des
petites routes de campagne, Bixente entre dans un sous-bois, parcours encore
une centaine de mètres, stoppe le véhicule, coupe le moteur.
— À
minuit, un avion vient nous chercher pour nous emmener à Londres. Tu vas
bien ?
— Mieux.
Je suis content de vous voir.
On s’est raconté nos vies, comme dans une chanson de
Patrick Bruel, sept jours tout de même infiniment plus denses que dix ans de
l’un de ses personnages. Après ma capture, Bixente, inquiet de ne pas me voir
revenir, est monté me chercher à la lueur de son briquet. Quand il m’a entendu
lui crier de se sauver, il a réussi à s’enfuir avec Artémise malgré les tirs
allemands. Ils ont alors rejoint le maquis de d’Astignac, y ont retrouvé
Stéphane, et ont pris tous les quatre un avion pour Londres la nuit même, juste
avant que le jour ne se lève (j’en déduis que monsieur Victor n’a pas
« donné » le maquis, simplement moi, joignant sans doute l’agréable à
l’utile. Bixente, lui, en déduit qu’il aurait dû le buter. Je ne suis plus sûr
qu’il ait tout à fait tort – je dois vieillir, définitivement). Artémise a
alors pu être soignée, sa blessure étant effectivement relativement bénigne.
Bixente, lui, a demandé dès son arrivée un commando à d’Astignac afin de
retourner en France pour me libérer. Il a refusé, arguant que l’on était
repérés, qu’une telle mission était bien trop dangereuse, qu’après m’avoir
perdu, il ne voulait pas prendre le risque de se priver de deux éléments si
précieux, aussi de mettre en danger la vie d’un de ses commandos, qu’en toute
hypothèse, il était déjà trop tard. Bixente insista tous les jours. Au bout du
cinquième, il se décida à rentrer seul en France. Artémise, presque remise de
sa blessure, insista à son tour pour l’accompagner et il ne put s’y opposer,
pas plus que d’Astignac, qui, à court d’arguments, les fit déposer la nuit
même, avec des armes, des faux papiers et des consignes pour un rapatriement
vers Londres.
Arrivés, ils se postèrent en planque devant l’annexe de
la kommandantur où se déroulent les interrogatoires. Qu’espéraient-ils ?
La confirmation de ma présence ? Mon transfert vers un camp ? Plus
probablement mettre au point un plan d’action avant d’attaquer la nuit même. Certainement
pas en tout cas me voir sortir ce soir-là, apparemment libre. Ils m’ont suivi,
jusqu’à chez moi, ne sachant que penser. Ils sont alors restés devant ma porte,
et, après plus de dix-huit heures d’attente, ne me voyant pas apparaître, ils
s’apprêtaient à tenter le tout pour le tout en pénétrant chez moi lorsque je
suis enfin sorti. La suite, tu la connais, ami lecteur, moi aussi.
Je leur
raconte à mon tour ma détention, mes tentatives d’évasion, les menottes, les
entraves, la chaîne, la torture bien sûr, la baignoire, l’électricité, les
coups, la douleur, la peur aussi, un peu, Maillard, le Doktor Ickx enfin, et ma
libération. Je leur répète les diverses hypothèses la concernant, en ajoute
une : je suis un traître, mieux, un espion à la solde des nazis. Artémise
réplique d’un cri touchant :
— Non !
C’est impossible !
Bixente
ajoute :
— Les
Allemands sont forts. Vraiment. Ils t’ont bien maquillé.
À
minuit moins le quart, nous installons les torches sur le terrain
d’atterrissage selon le dessin convenu. À minuit, l’avion se pose, nous
éteignons les torches, les rangeons. À minuit cinq, nous décollons, quand,
soudain : rien, il ne se passe rien, j’en suis presque étonné. Au milieu
de la nuit, nous arrivons à Londres, sains et saufs.