Je saute dans la voiture, petite, beaucoup trop petite
pour son conducteur. Il démarre.
— L’électricité,
c’est toi ?
— Ouais. Je me suis
dit que si leur groupe électrogène était toujours hs, ça te rendrait p’t-être service que je recoupe les deux
fils sur la ligne.
— Tu t’es bien dit.
Tu l’as volée où, ta bagnole ?
— C’est ton ami
Jasper qui me l’a prêtée. C’est la sienne.
— Elle
ne te va pas, mais alors, pas du tout. T’es ridicule dedans.
— Et toi, t’es
jamais content ?
— C’est pour ça que
tu m’aimes, non ? Enfin, si, je suis quand même content que tu sois venu.
Merci.
— Tu connais ce
mot ?
— Oui. Ça veut dire
pitié en anglais.
— On fait quoi
maintenant ?
— On
passe chercher Artémise, on attend une heure, et on file prendre l’avion. On
sera à Londres demain matin. Monsieur Victor, t’en as
fait quoi ?
— C’que tu m’as dit,
comme toujours. Je l’ai balancé sur le bord de la route. Vivant. Mais ça m’a
fait chier.
— C’est bien,
Vaquette est fier de toi. En passant, on le récupérera pour l’emmener avec
nous. On va quand même pas le laisser se démerder tout seul sur place, bon à
rien comme il est, il est foutu de se faire encore arrêter.
— Putain ! c’est pas possible ! L’incroyable, c’est toi ! Tu
t’prends pour l’abbé Pierre ?
— Non, je soigne
simplement mon ressort dramatique : il ne me pardonnera jamais une
mansuétude, une magnanimité dont il se révélerait incapable.
Nous arrivons. Artémise nous attend. Elle sourit,
radieuse, en pleurs aussi – que disais-je que sa fidélité est jolie ?
— Ce n’est pas vrai.
Ce n’est pas vrai. Tu es en vie. J’ai eu si peur.
— Eh oui ! Je
me suis même offert le luxe – j’adore le luxe – de détruire le missile et le
camp, de réussir seul la mission.
— Je sais, tu gagnes
toujours à la fin.
— J’avoue que j’ai
quand même failli un peu perdre, et puis, miracle, Zorro est arrivé, ou alors
c’était Bixente, je ne sais pas, je ne sais plus.
— Je lui ai fait du
chantage. Je lui ai dit que s’il n’y allait pas, eh bien moi, j’irais seule.
— Tu
as fait du chantage ? Mais c’est très mal, sais-tu ?
— Oh non !
C’est bien. C’est très, très bien.
L’heure passe, vite. Nous partons, après avoir vivement
remercié Jasper l’IncroyablE, pour tout, pour sa voiture qu’il nous laisse,
priant pourtant pour qu’il ne nous introduise pas par force en un de ses
écrits, où, devenus grotesques, simples, trop simples personnages, nous
illustrerions servilement sa pensée misanthrope.
Digression
La compagnie des auteurs a ceci d’insupportable
qu’elle fait craindre de finir déformé sous leur plume, pire, révélé au monde,
au demi-monde, au tiers, au quart monde même, à nos relations proches ou
lointaines, à nous aussi sûrement, exactement tels que nous sommes. D’ailleurs,
en annexe, on trouvera tous les noms vrais de ceux qui m’ont inspiré les
personnages de ce roman, ainsi que leur adresse, leur numéro de téléphone et
leur e-mail (ça fera branché, et puis, ça typera l’époque pour la postérité),
au cas où une quelconque pigiste voudrait remplir une pleine page de culture trash-underground
dans L’Humanité
– ça, c’est dégueulasse, Vaquette ! Mais non, rassure-toi monsieur Victor,
personne ne te reconnaîtra, probablement pas même toi. De toute façon, vous
êtes tant dont la médiocrité et l’incompétence ont pu m’inspirer, la plupart
pourtant infiniment moins arrivistes, ce qui les rend d’autant supportables.
Fin de la digression
Nous roulons.
— Tiens, c’est là
que je l’ai balancé.
Dans la lumière des phares, nous
cherchons : plus rien, mon ressort dramatique a manifestement filé. Tant
pis, nous reprenons la route, sans lui. Moins d’une demi-heure plus tard, nous
arrivons sans encombre à hauteur de la cabane qui marque notre premier arrêt.
Voici la procédure que m’a détaillée d’Astignac pour
notre rapatriement. Chaque nuit, peu avant le lever du jour, un avion anglais
survolera la zone. Dans une cabane cachée dans la forêt, à cinquante mètres de
la route, à trois cents d’une clairière qui sert de terrain d’atterrissage
clandestin, se trouvent des torches prêtes à l’emploi. Il nous suffit de les
allumer sur le terrain, selon un dessin bien précis, un code secret disons, pour que l’avion se pose et nous embarque. Si le
pilote ne voit rien ou que la disposition des torches n’est pas conforme au
modèle, il regagne Londres sans passager, et revient le lendemain, et ce,
jusqu’à nous récupérer.
— J’y vais. J’en ai
pour cinq minutes. Vous m’attendez ici.
Je descends, pénètre dans la forêt, avance au milieu des
arbres, et, à la lueur d’un briquet, aperçois la cabane. Je me dirige vers la
porte. Brutalement, une main se plaque sur mes lèvres, un bras enserre ma
poitrine, me couche à terre, et puis, tout de suite, je sens plusieurs hommes
se précipiter sur moi. Deux me tiennent les jambes, deux, les bras, un m’écrase
de tout son poids, pesant sur ma gorge avec une barre de métal, puis, tout se
fige. J’attends, sur le dos, immobile, incapable de bouger. J’étouffe. Le temps
semble une éternité destinée simplement à mourir, lentement. Je fais le point,
le temps passe. Je réfléchis encore, je ne vois aucune issue. Si, attendre, et
respirer doucement. Je perçois quelques mouvements furtifs autour de moi, et
mon regard distingue une faible lueur, peut-être à une dizaine de mètres, qui
semble avancer dans notre direction. J’ouvre brutalement la bouche, la referme
violemment, je sens un os qui se brise sous mes dents, j’entends un hurlement,
terrible, je crie à mon tour :
— Cassez-vous !
Je suis pris !
La lueur s’éteint, l’homme qui
était assis sur moi se lève d’un bond, la pression sur ma gorge disparaît,
j’entends son pas qui s’éloigne, un pas de course, suivi de plusieurs autres,
tire de toutes mes forces sur mon bras droit, le libère. Emporté par son élan,
il poursuit sa course, frappe à la tête l’homme qui bloque mon bras gauche,
pardon, qui bloquait mon bras gauche, avant de repartir, tel un ressort que
quelques Allemands doivent trouver dramatique, pour heurter avec le coude le
visage de son vis-à-vis. Au-dessus de moi, l’homme qui me tenait bâillonné
hurle encore. Je me redresse, vois les deux phares de la voiture de Jasper
l’IncroyablE se remettre en mouvement. Dans la clarté qu’ils diffusent, je
perçois plusieurs soldats qui arrosent le véhicule à l’arme automatique. Je
frappe d’un direct à la gorge l’homme couché sur ma jambe droite, libère mon genou
qui entre en contact avec le visage du dernier soldat qui me retient encore au
sol. Je me lève.
Digression
Je vais encore gagner, c’est agaçant, non ?
Fin de la digression
J’entends toujours des tirs, le
bruit de la voiture qui s’éloigne, les tirs cessent, le moteur continue à
tourner, loin à présent, de plus en plus, je cours, un mètre, puis, un choc
violent, celui d’une barre de métal en pleine tête, stoppe mon élan. Je
m’écroule.