Miracle. Soudain, le camp est entièrement plongé dans
l’obscurité. Seuls, près de moi, les phares de la voiture éclairent droit
devant elle. Cet incident provoque une seconde d’hésitation chez le tireur, le
temps pour moi de plonger de côté, de rouler sur moi-même, de penser la suite
logique : officier – uniforme – ceinture – holster. Je me redresse sur mes
jambes, saisis le Luger accroché à ma taille, vois dans l’obscurité des éclairs
qui sortent de la mitrailleuse, les vise, à peine plus haut, à peine plus loin,
boum, boum, boum, puis un cri, le bruit d’un corps qui tombe, le rakatak de la
mitrailleuse qui décrit un arc de cercle pour se diriger vers le ciel, enfin,
un nouveau boum, beaucoup, beaucoup, beaucoup plus fort, immédiatement suivi
par quelques autres, et, alors même que les projecteurs sont toujours éteints,
on voit de nouveau comme en plein jour : le bunker de recherche et la
moitié du camp sont en flammes. Dans cette lumière, je vise les deux Allemands
assis à l’avant du véhicule : dans les dents, Battiston est vengé.
La
rivière. Je balance le conducteur au sol, prends sa place, démarre, écrase
l’accélérateur, fonce plein ouest, et, à dix mètres de la clôture électrifiée
qui protège la rive et qu’il me faut bien détruire avant de gagner l’eau, passe
le point mort et saute du véhicule qui s’encastre dans les câbles, les
arrachant sans faire d’étincelles. Quel con ! deux fois. Vaquette, regarde
les projecteurs, il n’y a pas de lumière, pas d’étincelles, parce que
l’électri-cité ne fonctionne plus. Et puis, t’es con une deuxième fois, parce
qu’aller te foutre à l’eau alors que tu peux ressortir, dans l’obscurité, par
là où vous auriez dû entrer…
Digression
C’est
vrai, j’ai raison. Je suis désolé. J’ai essayé, vraiment, je le jure, et
Artémise et Bixente m’en sont témoins depuis le chapitre 14, d’utiliser mes
performances sportives pour vous écrire une scène aquatique et épique, avec,
pourquoi pas ? un crocodile et Tarzan, mais bon, je n’y arrive pas, ça ne
colle pas, manifestement, ce n’est pas logique. Tant pis.
Fin de la digression
Je
tourne le dos à la rivière, je cours, vers les barbelés, plein sud. Personne,
semble-t-il, ne s’intéresse à moi, et peut-être est-ce même la première fois de
ma vie que je ne le vis pas comme une insulte. Les survivants, valides, doivent
probablement songer à s’enfuir, ou à éteindre l’incendie pour les plus
héroïques. J’arrive à la clôture du camp, et je retire à l’instant tout ce que
j’ai bien pu dire sur l’efficacité germanique, ce n’est pas comme ça que vous
la gagnerez, la guerre : la percée d’Artémise dans le double rideau de
barbelés est intacte. Je la franchis, je cours, passe la clôture d’enceinte qui
n’est pas plus réparée, la longe vers l’est pour regagner la route, pense, de
nouveau : ça y est, c’est la fin, je veux dire, j’ai gagné, lorsque, en
face de moi, deux phares s’allument, m’aveuglent, et qu’une voix qui ne m’est
pas tout à fait étrangère me crie :
— Vaquette,
magne ton cul, faignant.