Chapitre 27
:
Même pas mort

Dix minutes, c’est beaucoup, non

Dix minutes, c’est beaucoup, non ?

Je fais le point. Je vois deux possibilités. Petit un, revenir sur mes pas, franchir, à présent vers le haut, les trois mètres qui me séparent de la gaine d’aération, passer de nouveau et avec la même réussite au travers des pales, sauter le fossé sous l’œil probablement malveillant d’un comité d’accueil, et puis, m’extraire du camp. Peu engageant. Petit deux, sortir triomphant par la grande porte, l’unique couloir, le sas gardé : Banzaï, d’abord, puis, bonjour, je suis Vaquette, je suis un héros immortel, je gagne toujours à la fin, conséquemment, je sors, sous vos applaudissements s’il vous plaît, pardon, pardon, pardon – merci. Même moi je n’y crois pas.

Puis soudain, une troisième idée, et, simultanément, une impression inquiétante et diffuse. L’idée ? c’est d’ôter l’uniforme d’un officier qui ne présente que deux impacts de balle pour m’en revêtir – je le fais ; l’impression ? c’est que cela fait bien trois minutes que j’ai pénétré dans cette salle, et que la porte est restée close, que personne n’est entré.

Je place un pain de plastic dans la pièce, tout de même suffisamment loin du missile, et règle le détonateur sur dix secondes. Voici mon plan : ouvrir la porte, sortir en criant « Bomb ! », prier pour que cela soit de l’allemand, et espérer que, l’explosion aidant, tous fuient avec moi, dehors. Après, dans la confusion, on verra bien – vous avez autre chose à proposer, vous, en dix secondes ? Vite, il en reste cinq.

J’appuie sur le bouton qui commande l’ouverture de la porte, et ma grande intelligence comprend très vite qu’elle ne s’ouvre que de l’intérieur : vingt hommes armés attendent juste de l’autre côté, depuis un moment sans doute. Ils pénètrent immédiatement dans la salle, l’arme au poing. Mon uniforme me protège, je les regarde, comme un mourant dont le geste héroïque pour leur libérer l’entrée sera pourtant le dernier, recule en titubant, compte mentalement (six, sept, huit), m’écroule au sol.

Le plastic explose, les vingt hommes sont soufflés, je saute sur mes jambes, cours, sors dans le couloir, me dirige vers le sas, crie « Bomb ! Bomb ! » – c’est de l’allemand, ou ils sont sourds, ou croates, ou mon uniforme, mon air affolé, le bruit de l’explosion, les blessés qui derrière moi sortent déjà de la salle suffisent à les convaincre : ils ouvrent le sas et sortent tous en courant. Je les suis.

Dehors, c’est la panique. Certains veulent entrer pour intervenir, ceux qui sortent les bousculent, tout le monde cherche quelqu’un, mais personne ne sait qui – ah ! si ! il est habillé en noir. Devant moi, j’avise un véhicule tout-terrain. Je saute à l’intérieur, mets le contact, souris – dans mon uniforme allemand, mon véhicule allemand, que risqué-je à présent ?

Je fonce droit vers la barrière que j’ai détruite en entrant, mais le Teuton est pratique, décidément : en travers de la chaussée, plutôt qu’une nouvelle clôture de fortune, c’est un char qui interdit le passage. Je braque, dérape, un soldat devant moi me fait de grands signes, me demande sans doute de ralentir – j’accélère. Ça fait bang, ses os craquent, il rebondit en arrière, devant mon véhicule, puis, je me sens rouler sur un obstacle à moitié rigide, peut-être crie-t-il. Je continue, tout droit, à fond, tourne la tête, fais le point : on me tire dessus, je suis repéré, prisonnier dans l’enceinte du camp, et suivi par deux véhicules. Dans le premier, deux hommes. Dans le second, trois, dont un servant une mitrailleuse embarquée.

Je conduis d’une main, de l’autre, je sors mes grenades, les place sur le siège passager en compagnie de mon pistolet-mitrailleur. J’en saisis une, la dégoupille avec les dents, la lance par-dessus mon épaule. J’entends une explosion, des cris, le bruit d’un accident, je suis suivi par un seul véhicule. Les balles de sa mitrailleuse me sifflent aux oreilles, et, pourtant, ma première préoccupation n’est pas là, elle est dans cette question : comment sortir du camp ? une seule réponse, la rivière, bien sûr. Je fonce dessus, tout droit à cent mètres.

Je ne sais pas si j’ai peur, si j’ai le temps d’avoir peur. J’entends toujours le bruit de la mitrailleuse, des balles qui frappent la carrosserie, du verre brisé lorsque le pare-brise tombe, puis celui d’un pneu qui explose. La voiture part à droite, je contrôle, part à gauche, je contrôle, part de nouveau à droite, je contrôle, mais un peu moins, puis se braque à gauche, part en tonneau, et je suis éjecté. Je roule à terre, me relève instantanément – là, j’ai un peu mal – et vois les deux phares de la voiture m’arriver droit dessus. Le tir de la mitrailleuse continue, s’approche, et il ne me reste plus qu’à rééditer mon exploit, à viser juste.

Je saisis une grenade, enfin, je cherche une grenade – merde, la voiture ! j’ai laissé les grenades sur le siège, avec mon pistolet-mitrailleur. Je n’ai plus sur moi que mes deux automatiques passés dans ma ceinture, dessous mon uniforme allemand, et c’est un peu court, jeune homme, pour les sortir précipitamment dans un final torride digne d’un Chippendale. La voiture freine, décrit un quart de tour pour libérer l’axe de la mitrailleuse qui cesse son tir, pivote, me vise. Je ne suis plus dans la lumière des phares, mais dans celle des projecteurs. Je les vois. Eux, ils triomphent, moi, je dois avoir l’air démuni, soucieux aussi. Je consulte la fin du roman, la couverture, le relis en diagonale, et partout la même phrase entêtante : je gagne toujours à la fin. Et pourtant, là, franchement, pour m’en sortir, il faudrait un miracle.