(Spéciale) dédicace
L’IndispensablE,
atrocement didactique, dédicace ce chapitre – seulement ce chapitre ? – à
ses camarades alternatifs rebelles qui changeront tant le monde en étant
branleurs, fumeurs de teuteu à vingt ans, rmistes dès vingt-cinq, et employés
smicards chez Bouygues ou à la Poste après leur premier gosse, méprisant tout
de même leurs collègues, leurs patrons, parce que nous, on n’est pas comme eux,
on est mieux, on est moins cons – la preuve.
Fin de la (spéciale) dédicace
La
chance sourit aux audacieux, vieille antienne populaire.
Digression
Il
est quatre erreurs logiques parmi les plus courantes :
i)
La statistique sur un cas (ou un nombre insuffisant de cas). Exemple :
j’ai trois voisins. Deux sont arabes, un, portugais, donc, soixante-quinze pour
cent des Français sont des immigrés. Faux, bien sûr. La conclusion non erronée
est : je vis dans une hlm en
Seine-Saint-Denis. Rappelons ( ?) que l’erreur statistique est de l’ordre
de racine carrée de n, sur n, n
étant le nombre de cas. Une statistique sur quatre cas n’a conséquemment aucun
sens, l’erreur étant de racine de quatre sur quatre, soit deux sur quatre
cinquante pour cent – autant tirer à pile ou face. Sur cent cas, on a encore
dix pour cent d’incertitude (sur le score de Bruno Mégret, par exemple, c’est
énorme).
ii)
La confusion englobant/englobé. Exemple : un Algérien est un Maghrébin,
mais tous les Maghrébins ne sont pas algériens. Sans compter qu’un Arabe n’est
pas forcément maghrébin, et qu’un Maghrébin n’est pas forcément arabe. Là où ça
se complique, c’est lorsqu’un même terme fait référence à plusieurs
appartenances (communautaires et religieuses, par exemple). Un Musulman
bosniaque n’est pas forcément musulman, de même qu’un Serbe n’est pas toujours
orthodoxe. Un Juif peut être athée, et certains intégristes ne reconnaissent
pas le statut de Juif aux Goyim qui se sont convertis à leur religion. Enfin,
si tous les Juifs ne sont pas israéliens, rappelons que tous les Israéliens ne
sont pas juifs (mais qu’ils ont intérêt à courir vite).
iii) La confusion sur la causalité. Si Rachid vole la
mobylette de Stéphane (pas m’sieur Victor, un autre, au hasard), c’est parce
que Stéphane a une mobylette (condition nécessaire). Mais ce n’est pas parce
que Stéphane a une mobylette que Rachid va nécessairement lui voler (il peut
simplement lui taxer ses Pokémons) : la condition n’est donc pas
suffisante (bien sûr, si c’est Stéphane qui vole la mobylette de Rachid, ce
n’est pas du vol, c’est du commerce international). Poursuivons. Rachid a été
en prison parce qu’il a volé des mobylettes (proposition vraie). Rachid a volé
des mobylettes parce qu’il a été en prison (proposition vraie). Mais, les
relations ne sont pas strictement causales (j’entends qu’elles ne sont ni
nécessaires, ni suffisantes) : Rachid peut très bien voler des mobylettes
et ne jamais aller en prison (enfin, s’il s’appelle Stéphane, ce sera quand
même plus facile), Rachid peut aller en prison même s’il n’a jamais volé de
mobylette (ni rien fait du tout d’ailleurs), de même qu’il peut très bien aller
en prison, et ne jamais voler de mobylette en sortant (et passer directement au
braquage de fourgons).
iv)
Un exemple n’a pas valeur de preuve, un contre-exemple, si. Exemple : je
connais un Arabe qui est voleur (Rachid ! on t’a reconnu !), donc
tous les Arabes sont voleurs. La proposition est fausse. En revanche : je
connais un Arabe qui n’est pas voleur (c’est une hypothèse d’école), donc tous
les Arabes ne sont pas voleurs. Cette proposition est vraie. Évidemment, je
connais un Arabe qui n’est pas voleur, donc aucun Arabe n’est voleur, est une
proposition fausse, et en plus, franchement, c’est abuser.
Fin de la digression
Il
serait erroné – voir i) – de dire que la sagesse populaire a toujours
raison sur le seul cas d’Artémise, mais bon, elle a été chanceuse et ne gardera
qu’une cicatrice supplémentaire de cette balle qui lui a traversé l’épaule de
part en part sans jamais toucher l’os. Un mois de repos le bras en écharpe, il
n’y paraîtra plus. Ses jours, bien sûr, ne sont pas en danger.
Pendant
que Jasper l’IncroyablE panse sa plaie, je fais le point :
— La
suite maintenant. Bixente ? Tu prends monsieur Victor sur tes épaules, et
tu le balances, vivant, j’insiste, un peu plus loin dans la campagne. Il se
débrouillera bien tout seul pour rentrer où il veut, sinon, ce n’est plus notre
problème.
— De
quoi ? On le bute pas ?
— Non. La réponse est non. Nous, on ne tue personne, pas
de sang-froid en tout cas.
— Et
s’il nous dénonce aux Allemands ?
— Je le
crois trop lâche, même pour cela. Et puis, « l’héroïsme, c’est de préférer
une belle défaite à une victoire sans grâce. » (Vaquette, in J’veux
être Grand et Beau, chapitre iii :
Le Courage.)
— J’te
comprends pas là. On en a déjà buté d’autres. Plein. Et sans doute des moins
pourris que celui-là.
— Non, jamais hors de l’action. Et puis, justement.
Disons que c’est la nuit où, enfin, je me rédime car Dieu, ou à défaut Gogol Ier,
m’apparaît, et sauver une vie, c’est sauver l’humanité tout entière. Plus
sérieusement, disons que je n’ai pas envie à mon tour d’être un pourri, comme
tu dis. Le propre des faibles, c’est de t’obliger à choisir entre être un
salaud, ou bien un résigné, et abdiquer ta liberté. C’est atrocement banal,
simplement universel, quotidien, une histoire éternelle qui sent le sur, les
odeurs de cuisine et d’ordures ménagères. Disons que je contourne l’obstacle
par la classe, habilement, probablement trop même, en décidant d’aller moi-même
contre mon propre intérêt. Et puis, plus cyniquement, plus techniquement, un
roman a besoin d’un ressort dramatique. Vivant, il nous en fournit tant :
sa bassesse, sa lâcheté, son envie, son arrivisme enfin, que sais-je ?
Mais je te rassure, je gagne toujours à la fin. Fais ce que je t’ai dit, je
t’attends, et on y va.
— On va
où ?
— Comment
ça où ? On laisse Artémise avec le monsieur, et nous, on retourne au
centre de recherche pour finir ce qu’on a commencé.
— Tu
plaisantes ?
— Jamais
avec ma gloire. Allez ! va, cours, vole, et ne te venge pas. Je t’attends.
— Tu
crois quand même pas que je vais te suivre ?
— Si.
Pourquoi ?
— Pourquoi ?
Parce qu’à quatre en attaquant par surprise, c’était déjà coton, mais là, à
deux en les ayant réveillés, c’est niqué d’avance.
— Oh ! On croirait entendre ton ami, monsieur
Victor.
— C’est ça. Tu peux dire ce que tu veux, j’m’en fous.
J’vais pas aller me faire buter pour faire le ménage des Anglais et de ton
général qui, au passage, nous a mis dans les pattes ton ami Victor. Qu’ils se démerdent tous seuls, j’suis pas
leur bonne espagnole, ni yougoslave d’ailleurs.
— Tu te
dégonfles ?
— Ouais,
c’est ça, je m’dégonfle. Vas-y tout seul si t’es si mariol.
— D’accord.
J’y vais tout seul. Sans regret ?
— T’es ridicule. Mais j’vais pas m’faire buter pour toi.
— Vois-tu, il est crime impardonnable, c’est le manque
d’ambition. Là encore, comme les faibles, comme la plupart, vous en voulez tous
manifestement à mon libre arbitre. Ainsi n’ai-je le choix qu’entre être
médiocre avec toi, ou bien digne, digne de moi j, de ma prétention si tu
préfères, mais seul. Oui, c’est un crime impardonnable. Si nous nous séparons
aujourd’hui, c’est que j’aurai voulu monter plus haut, plus haut encore,
toujours. Pourras-tu m’en vouloir ? Ne m’estimes-tu pas justement parce
que je suis celui-là ? Vous ne faites rien, jamais, et c’est nous encore qui
prenons la responsabilité de vous perdre de vue lorsque nous montons vers les
cimes, et pourtant, c’est vous les seuls coupables d’être restés si bas. Le
monde meurt j’allais dire, pour faire littéraire, mais non, il vit, bon an mal
an, disons moins emphatiquement, que le monde est ce qu’il est, peu, trop peu
pour moi, parce qu’au restaurant, à choisir entre deux plats, vous commandez
toujours celui que vous connaissez. C’est un détail, je sais, et pourtant, tu
vois, tout est là.
— T’es
injuste Vaquette. Si on se sépare un jour, ce sera plutôt pour ça, parce que tu
me parles comme si j’étais les autres.
— Oui, je suis injuste, probablement. Probablement aussi
te dis-je cela à toi car tu es là, et que tu peux l’entendre. Regarde, il n’y a
personne, ils sont chez eux, tous, attendant de pouvoir sortir enfin, sans
risque. Regarde, monsieur Victor, lui ne peut pas m’entendre, et serait-il
réveillé que cela ne changerait rien. Je leur parle, mais je parle déjà pour
vous, je répète, je parle pour moi, et je ne m’intéresse pas beaucoup, sachant
d’avance ce que je vais dire. Oui, je suis injuste. J’ai contracté cette
habitude il y a longtemps déjà, de penser que j’avais plus à dire, tout dire,
aux rares pour qui je concevais un peu d’estime. Rares parmi les rares sont
ceux qui l’ont compris, aucun semble-t-il ne l’apprécie vraiment. Prends soin
d’Artémise. Si dans deux heures je ne suis pas rentré, prenez l’avion pour
Londres avant le petit matin.
Je
sors.