Chapitre 21
:
Mon royaume pour une Deux-chevaux

— Tu peux marcher ?

— Oui… ça va aller.

— On fait quoi, Vaquette ?

— On s’éloigne du camp, le plus possible. Après, on verra.

Nous traversons la route. L’obscurité est totale, toujours. Nous avançons dans un pré en léger dévers, sur cinq cents mètres peut-être, traversons une nouvelle route, continuons tout droit, dans une forêt, soutenant tour à tour Artémise, marchant toujours à tâtons.

Soudain, nous entendons le bruit d’un moteur. Artémise et Bixente se jettent à terre, moi, je cours, droit devant. Deux phares apparaissent qui éclairent une route deux mètres en contrebas. Je saute au milieu de la chaussée, le véhicule militaire allemand et ses cinq occupants se dirigent droit sur moi. Je tire trois balles, le pare-brise explose, je plonge dans le fossé. Le véhicule poursuit sa course en ligne droite, percute un arbre, s’immobilise. Je me relève. Dans la faible clarté que diffuse la réflexion des phares sur la végétation, je vois la porte arrière gauche s’ouvrir, un homme sortir - je crie :

— Stop !

Il se retourne vers moi, relève le canon de sa mitraillette, je fais feu, il s’écroule. Je saisis de ma main gauche un deuxième pistolet, approche.

Le conducteur est écrasé sur son volant, la moitié du visage arraché. Le passager gît inerte sur le capot. À l’arrière, deux hommes recroquevillés sur eux-mêmes, vivants, immobiles, tremblants. L’un porte un uniforme allemand, l’autre est tout de noir vêtu. Étrangement, il garde ses deux mains derrière son dos.

— Raus !

Le premier relève la tête. Il semble pleurer, et balbutie quelques mots en allemand, sans doute comme quoi l’été est joli en Bavière, ou dans les campings de la Côte d’Azur, et que, tant qu’à faire, il préférerait ne pas gâcher ses prochaines vacances pour un motif aussi futile qu’une guerre mondiale, et puis, ses deux frères sont déjà morts, et sa maman a beaucoup trop pleuré.

— Dégage !

Il ne comprend pas. Je joins le geste à la parole. Il a peur. Il hésite, sort de la voiture, recule doucement, parlant toujours, trébuche, tombe, parle encore.

— Raus !

Il se relève, me tourne le dos, s’enfuit.

— Toi aussi, dégage !

— C’est toi, Vaquette ?

— Monsieur Victor ! Qu’est-ce que tu fous là ?

— Tu vois bien ! Je me suis fait arrêter. Détache-moi.

Je regarde ses poignets. Ils sont effectivement entravés par une paire de menottes.

— Pas le temps. On verra ça plus tard.

Je sors, ôte le passager du capot, enclenche la marche arrière, et remets la voiture sur la route.

— Tout est ok. Vous pouvez descendre. Vite.

Bixente installe Artémise à l’arrière, prend place à mes côtés (je démarre), se retourne, et reconnaît Stéphane.

— Putain l’enculé, c’est toi ? J’vais t’tuer.

— Non, tu ne vas tuer personne. Pas maintenant. On réglera ça plus tard.

— Tu perds rien pour attendre. Qu’est-c’tu fous là ?

— J’étais dans la voiture. Arrêté. Par une patrouille. À un barrage. Vaquette m’a libéré.

— Et notre voiture, t’en as fait quoi ?

— J’ai été arrêté. Dedans. Je viens de dire.

— Et l’électricité que tu devais faire sauter ?

— J’ai essayé. Impossible. Problem. Vous avez vu. Suicidaire. J’ai préféré vous attendre. À la voiture. Je me suis dit qu’en voyant ça, vous retourneriez sur vos pas. Qu’on s’enfuirait. Ensemble. C’était pas possible. Je vous dis.

— Si on d’vait s’enfuir ensemble, pourquoi tu t’es cassé tout seul, ordure, avec la bagnole en plus ?

— J’ai vu Vaquette franchir la clôture. Je me suis dit : ils sont condamnés. J’ai préféré en sauver un. Pour faire un rapport. À Vautrin.

— Ben voyons ! J’vais t’tuer pourri.

— Arrête Bixente. Retire-lui plutôt ses menottes.

— J’fais comment ?

— Écoute. J’ai pas le temps d’écrire une scène chez un forgeron avec lime et coupe-boulons, alors, tu te démerdes, et tu trouves les clefs, par chance, dans le vide-poches.

Bixente trouve les clefs, par chance, dans le vide-poches. Il libère Stéphane.

— Maintenant Vaquette, j’peux l’tuer ?

— Ça suffit les enfants, on se calme : papa réfléchit. Ah ! Monsieur Victor, une dernière chose pourtant : neutraliser le bunker de contrôle, c’était possible.