— Tu
peux marcher ?
— Oui…
ça va aller.
— On
fait quoi, Vaquette ?
— On
s’éloigne du camp, le plus possible. Après, on verra.
Nous traversons la route. L’obscurité est totale,
toujours. Nous avançons dans un pré en léger dévers, sur cinq cents mètres
peut-être, traversons une nouvelle route, continuons tout droit, dans une
forêt, soutenant tour à tour Artémise, marchant toujours à tâtons.
Soudain,
nous entendons le bruit d’un moteur. Artémise et Bixente se jettent à terre,
moi, je cours, droit devant. Deux phares apparaissent qui éclairent une route
deux mètres en contrebas. Je saute au milieu de la chaussée, le véhicule
militaire allemand et ses cinq occupants se dirigent droit sur moi. Je tire
trois balles, le pare-brise explose, je plonge dans le fossé. Le véhicule
poursuit sa course en ligne droite, percute un arbre, s’immobilise. Je me
relève. Dans la faible clarté que diffuse la réflexion des phares sur la
végétation, je vois la porte arrière gauche s’ouvrir, un homme sortir - je
crie :
— Stop !
Il se retourne vers moi, relève le canon de sa
mitraillette, je fais feu, il s’écroule. Je saisis de ma main gauche un
deuxième pistolet, approche.
Le conducteur est écrasé sur son volant, la moitié du
visage arraché. Le passager gît inerte sur le capot. À l’arrière, deux hommes
recroquevillés sur eux-mêmes, vivants, immobiles, tremblants. L’un porte un
uniforme allemand, l’autre est tout de noir vêtu. Étrangement, il garde ses
deux mains derrière son dos.
— Raus !
Le
premier relève la tête. Il semble pleurer, et balbutie quelques mots en
allemand, sans doute comme quoi l’été est joli en Bavière, ou dans les campings
de la Côte d’Azur, et que, tant qu’à faire, il préférerait ne pas gâcher ses
prochaines vacances pour un motif aussi futile qu’une guerre mondiale, et puis,
ses deux frères sont déjà morts, et sa maman a beaucoup trop pleuré.
— Dégage !
Il ne
comprend pas. Je joins le geste à la parole. Il a peur. Il hésite, sort de la
voiture, recule doucement, parlant toujours, trébuche, tombe, parle encore.
— Raus !
Il se
relève, me tourne le dos, s’enfuit.
— Toi
aussi, dégage !
— C’est
toi, Vaquette ?
— Monsieur
Victor ! Qu’est-ce que tu fous là ?
— Tu
vois bien ! Je me suis fait arrêter. Détache-moi.
Je
regarde ses poignets. Ils sont effectivement entravés par une paire de
menottes.
— Pas
le temps. On verra ça plus tard.
Je
sors, ôte le passager du capot, enclenche la marche arrière, et remets la
voiture sur la route.
— Tout
est ok. Vous pouvez descendre.
Vite.
Bixente
installe Artémise à l’arrière, prend place à mes côtés (je démarre), se
retourne, et reconnaît Stéphane.
— Putain
l’enculé, c’est toi ? J’vais t’tuer.
— Non,
tu ne vas tuer personne. Pas maintenant. On réglera ça plus tard.
— Tu
perds rien pour attendre. Qu’est-c’tu fous là ?
— J’étais
dans la voiture. Arrêté. Par une patrouille. À un barrage. Vaquette m’a libéré.
— Et
notre voiture, t’en as fait quoi ?
— J’ai
été arrêté. Dedans. Je viens de dire.
— Et
l’électricité que tu devais faire sauter ?
— J’ai
essayé. Impossible. Problem. Vous avez vu. Suicidaire. J’ai préféré vous
attendre. À la voiture. Je me suis dit qu’en voyant ça, vous retourneriez sur
vos pas. Qu’on s’enfuirait. Ensemble. C’était pas possible. Je vous dis.
— Si on
d’vait s’enfuir ensemble, pourquoi tu t’es cassé tout seul, ordure, avec la
bagnole en plus ?
— J’ai
vu Vaquette franchir la clôture. Je me suis dit : ils sont condamnés. J’ai
préféré en sauver un. Pour faire un rapport. À Vautrin.
— Ben
voyons ! J’vais t’tuer pourri.
— Arrête
Bixente. Retire-lui plutôt ses menottes.
— J’fais
comment ?
— Écoute.
J’ai pas le temps d’écrire une scène chez un forgeron avec lime et coupe-boulons,
alors, tu te démerdes, et tu trouves les clefs, par chance, dans le
vide-poches.
Bixente
trouve les clefs, par chance, dans le vide-poches. Il libère Stéphane.
— Maintenant
Vaquette, j’peux l’tuer ?
— Ça
suffit les enfants, on se calme : papa réfléchit. Ah ! Monsieur
Victor, une dernière chose pourtant : neutraliser le bunker de contrôle,
c’était possible.