Chapitre 20
:
Va y avoir du sport

Digression

Digression

L’une des bases, l’un des fondamentaux d’un entraînement sportif, est le « fractionné » : on monte le cœur à fond pour travailler en anaérobie afin que le muscle, privé d’oxygène, produise de l’acide lactique (on dit aussi, travailler dans le lactique, cette substance responsable des crampes), et repousse ainsi ses limites pour progresser (cà-dire produire de la fibre musculaire, courte ou longue, dépendamment du type d’effort, puissance ou vitesse), on se repose alors un peu (entre quelques secondes et quelques minutes, en fonction du sport et de l’effet souhaité – travail du sprint ou du fond), et on repart, de nouveau au maximum de ses possibilités, cela bien sûr plusieurs fois de suite, c’est ce qu’on appelle une série. En natation, par exemple, cela peut donner dix cent mètres nage libre de suite, départ toutes les minutes quinze (soit une quinzaine de secondes de repos environ entre chaque cent mètres), pour moi bien sûr, pour vous, disons deux minutes trente, allez ! trois minutes. On fait généralement plusieurs séries lors d’un entraînement, en complément du travail technique.

Fin de la digression

Il s’était bien écoulé vingt secondes depuis que je m’étais arrêté, c’était tout juste assez pour qu’un nouvel effort sollicite judicieusement mon physique. Je me relève, je cours, plein est, longeant par l’intérieur le grillage d’enceinte du périmètre de sécurité, toujours éclairé certes, mais toujours à l’abri du faisceau direct de l’un des projecteurs. Trois cents mètres, quarante secondes ? quarante-cinq ? Pas un tir, les Allemands étant sans doute trop occupés à guetter l’hallali, la meute qui bientôt fera surgir le gibier du bosquet. Après m’être approché ainsi par la bande au plus près du bunker de contrôle, j’infléchis ma course, et me dirige droit vers lui. J’en suis à deux cents mètres lorsque, éclairé brutalement par trois projecteurs, j’entre en pleine lumière : applaudissements, c’est à moi de jouer.

Les deux bras levés au-dessus de ma tête, je continue à avancer, d’une marche vive, disons 7,2 km/h, pour faire simple. Dix secondes, vingt mètres : Stop ! (prononcez « chtop »). J’avance. Dix secondes encore, quarante mètres : Halt ! Stop ! Toujours les mains au-dessus de la tête, je marche encore dix secondes. Soixante mètres. Trois hommes armés sortent du bunker, s’approchent de moi en courant, je marche, vingt secondes : je suis à cent mètres du poste de contrôle, à dix mètres d’eux. Ils me mettent en joue, je m’arrête, les mains obstinément en l’air.

— Stop ! Stop ! (c’est de l’allemand, toujours).

— Je me rends (ça, c’est du français).

Un soldat s’approche prudemment par la gauche, pour ne pas couper la ligne de tir de ses camarades, dirige son fusil vers mon visage. Lorsqu’il n’est plus qu’à deux mètres de moi, brusquement, ma main droite descend vers ma ceinture, saisit mon pistolet automatique, tandis que ma main gauche attrape le canon de son fusil, déséquilibrant violemment le soldat vers l’avant. Cinq balles sont alors tirées, presque simultanément. La première, celle du fusil que j’ai saisi, me frôle et me brûle la main. Les deux suivantes, celles des deux autres soldats, sont interceptées par le corps du premier lors de sa chute vers moi. Les deux dernières, en revanche, atteignent parfaitement leurs cibles : les deux crânes allemands explosent coup sur coup.

Je poursuis. Athlétisme toujours. Épreuve combinée : soixante-dix mètres course – lancer de grenade trente mètres. T’es le meilleur, Vaquette. C’est parti. Champion du monde.

Je cours, à fond. Cinq secondes, quarante mètres, la mitrailleuse reprend son tir, à présent vers moi. Je zigzague, les balles se rapprochent, j’oblique, elles s’éloignent. Soixante mètres, je dégoupille, je cours encore, dix mètres, je lance, plonge à terre, une rafale me frôle, la grenade explose, la mitrailleuse aussi. Je me relève, je cours, tout droit. Trois hommes sortent du bunker pour activer la seconde mitrailleuse, et, à cet instant, je me dis, pratiquement avec une larme de compassion, tiens, peut-être est-ce ceux-là qui ont intercepté Stéphane, et si ce n’est eux, c’est donc leurs frères. Je tire trois balles, ils s’écroulent. Dix mètres encore. Je dégoupille une grenade, la lance dans le bunker, me jette à terre, attends, entends l’explosion, relève la tête : autour de moi, personne.

En contrebas, à cent mètres du bosquet, une dizaine d’hommes avec des chiens s’approchent toujours d’Artémise. Je cours à la mitrailleuse. Elle est prévue pour être utilisée par trois hommes – je les vaux bien. Je la dirige approximativement vers ma cible, arme le magasin, tire. Sans lâcher la gâchette, je vise en faisant pivoter le socle, un pied au sol. Deux hommes tombent, les autres s’enfuient vers le camp. Le magasin livré à lui-même s’enraye, mais les Allemands continuent de s’éloigner du bosquet – ça laissera toujours un peu de temps à Bixente pour ramener Artémise.

Je saute hors de la mitrailleuse, entre dans le bunker calciné, ouvre la porte qui mène à la salle contenant le groupe électrogène, y lance un pain de plastic, une grenade dégoupillée, referme la porte, sors, entends un bruit sourd d’explosion, et la lumière du camp s’éteint.

Immédiatement après, elle se rallume, dans un éclair, puis, s’éteint de nouveau, se rallume encore, et disparaît définitivement.

Cela fait bien dix secondes que je ne cours plus, non ? Allez, une série encore, et mon entraîneur sera fier de moi. C’est reparti. Je sors du camp, suis la route dans l’obscurité jusqu’à la limite sud sud-est du périmètre clos, cherche à tâtons la voiture que Bixente aurait dû laisser là : rien. Je reviens sur mes pas, repars, cherche encore : toujours rien.

— Vaquette, c’est toi ?

— Non, c’est Jean-Paul II, jeune. Artémise est là ?

— Oui.

— Elle va comment ?

— Pas trop mal… Tristan… grâce à toi (sa voix hachée semble démentir ses propos).

— T’inquiète pas, Artémise, tu vas t’en sortir. Bixente, tu l’as garée où la voiture ?

— Là. Je l’avais garée là.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— J’veux dire que si je r’trouve l’autre enculé, je l’bute.