Au
douzième coup de minuit, je coupe le fil, me laisse glisser le long du poteau,
je cours. L’obscurité est totale. Je longe la route vers le nord, sur cinq
cents mètres, puis la clôture du périmètre de sécurité, plein ouest. J’ai fait
mes calculs, comme un défi, bien sûr : mille mètres, deux minutes trente –
mégalomane ou simplement ambitieux ? disons trois minutes, à cause de
l’obscurité et du terrain accidenté : tout juste le temps pour Artémise de
percer une saillie dans le double rideau de barbelés, et pour Bixente de
parcourir les mille cinq cents mètres qui le séparent d’elle, dont les deux
tiers en voiture.
Digression
Là,
ami lecteur, si tu ne suis pas, reporte-toi à ton joli dessin que, j’espère, tu
as fait à l’échelle.
Fin de la digression
Mes
poumons brûlent, ma gorge brûle, je manque de trébucher à chaque foulée – je
continue. Brutalement, tout va mieux. Le souffle est toujours aussi court, mon
cœur bat toujours aussi vite, mais je vois enfin où je mets les pieds, je vois
comme en plein jour.
Devant
moi, Bixente qui vient de franchir le grillage d’enceinte revient sur ses pas
et plonge à terre, je le rejoins. Nous, nous ne sommes pas directement dans le
faisceau d’un projecteur. Je dis nous, car, bien sûr, Artémise est surprise
alors qu’elle finit d’ouvrir la deuxième rangée de barbelés. Elle se jette à
terre alors que déjà le tir d’une mitrailleuse lourde se fait entendre et que
des éclats de roche jaillissent autour d’elle sous l’impact des balles. Elle se
relève, court vers nous en zigzaguant. Enfin, vers nous, plutôt vers le bosquet
signalé par d’Astignac, et dont aucun plan ne m’a finalement révélé l’utilité.
En cet instant, je ne suis plus très sûr d’avoir encore la tête au
calcul : cent mètres cross zigzag dame, treize secondes ? quinze ?
vingt ? Il lui reste cinquante mètres. Quarante mètres. Trente mètres.
Elle s’écroule, les tirs continuent.
— Bordel,
l’enculé. Ton m’sieur Victor, j’vais l’tuer. On fait quoi Vaquette ?
Elle se relève, reprend sa course, toujours en zigzag,
mais claudiquant, la main droite serrée sur son épaule gauche. Vingt mètres.
Dix mètres. Elle trébuche, se relève immédiatement, reprend sa course, plonge
dans la végétation. Les tirs cessent, puis, tout de suite, dans le silence,
pour la deuxième fois de la soirée, on entend des cris, des aboiements.
— Toi, tu ne bouges pas. Quand la lumière s’éteint, tu
cours la chercher, tu la ramènes à la voiture – si je n’y suis pas, vous partez
pour Londres tous les deux, cette nuit.