J’ai vite
trouvé le bon dossier. Il était effectivement dans le coffre et semblait assez
complet. Le comprendre,
largement, en aussi peu de temps, était en revanche, pour utiliser une fois
encore la litote, très loin d’être acquis. Quant à en déduire un plan d’action,
cela me sembla brutalement d’une outrecuidance dont je me reprochais déjà la
détestable habitude – le doute, toujours.
Je n’ai
rien dit, bien sûr, je me suis simplement plongé dans ces schémas techniques
dont les rares commentaires et légendes étaient en allemand, et qui m’apparaissaient
aussi intelligibles que du Klossowski traduit en moldave et transcrit en
alphabet glagolitique. Je ne comprenais rien à ces suites de traits, de
chiffres, de lettres, de symboles. Parfois, j’avais une intuition, une lueur,
immédiatement noyées sous une vague de questions, puis, de nouveau une lueur,
un début de certitude même, et des questions, encore. Dans ma tête alors,
commencèrent à se former des boîtes, des cases, dans lesquelles des
informations prenaient lentement place, et, entre ces boîtes peu à peu
ordonnées, quelques interactions causales, et toujours des questions, bien sûr.
Puis, finalement assez rapidement, naturellement, ma perception s’est
inversée : il ne me resta que de larges zones d’ombre dans un système dont
je commençais à comprendre le mécanisme. En moins d’une heure de route, toute
leur installation m’était claire, je n’eus pas même besoin de concevoir un plan
d’action, il m’apparut d’évidence.
— Leur
système est intelligent. Très intelligent. Moins que moi bien sûr, mais tout de
même. Toute l’électricité du camp et du centre de recherche est commandée par
le bunker de contrôle via des câbles enterrés sur toute leur longueur. Elle est
dérivée de la ligne qui longe la départementale, cinq cents mètres en amont et
en aval du camp – double sécurité – et reliée au bunker là encore par des
câbles souterrains. Là où cela devient particulièrement malin, et d’autant
délicat pour nous, c’est que, en cas de problème sur les deux alimentations, le
bunker dispose d’un groupe électrogène de secours susceptible de réalimenter à
pleine puissance la totalité de l’installation. Notre chance, et la faille de
leur système, c’est qu’un tel groupe a besoin d’un temps de préchauffage pour
se déclencher (eh oui ! j’avais tout de même fait un peu de thermique,
jadis, et les formations élitaires dispensent, parfois, quelques enseignements
techniques, pratiques, voire même utiles), comptons au moins une minute,
probablement plus avec le temps de réaction des hommes présents. C’est
évidemment trop court pour réaliser la totalité de l’opération, mais largement
suffisant pour parcourir les deux cents mètres à découvert qui séparent la
départementale du bunker de contrôle, et le détruire, groupe électrogène
compris. Le plus gros problème, c’est que nous ne sommes que quatre, lorsqu’il
nous faudrait être au moins le double pour opérer de façon satisfaisante. Cela
va nous obliger à agir chacun individuellement. Deux sectionneront
simultanément la ligne électrique en amont et en aval. Dès que la lumière
s’éteint, un autre attaque seul le bunker de contrôle, et le détruit. Sa
mission alors est terminée, il rejoint la voiture et assure les arrières, au
cas où. Enfin, le dernier fonce sur le camp, au sud, à l’exact opposé de
l’entrée, et sectionne, pour gagner quelques précieuses minutes, le double
rideau de barbelés. Là, il attend les deux premiers, et, à trois, dans
l’obscurité totale, ils s’approchent du bunker de recherche, sautent les cinq
mètres du fossé (Bob Beamon fera bientôt neuf mètres, ou tout comme), et, c’est
là que les plans sont très instructifs, pénètrent à l’intérieur par l’aération
latérale située plein est, à l’intérieur du fossé, un mètre à peine au-dessus
du niveau de l’eau, le sommet du bunker étant à la même hauteur que le sol
environnant. Les pales du ventilateur d’extraction d’air étant stoppées par la
panne électrique, elles seront alors franchissables sans danger, et un conduit
nous amènera directement dans la salle centrale de recherche où devrait se
trouver le missile. La suite, on a l’habitude. On entre. On fait le ménage. On
pose la bombe. Et on sort, par le même chemin. Le tout peut être réalisé en
moins de dix minutes, trop peu pour qu’ils comprennent véritablement qu’il ne
s’agit pas seulement d’une attaque contre le bunker de contrôle. On peut même
s’en tirer. Des objections ?
Digression
Ami
lecteur, tu as pensé, bien sûr, à noter l’emplacement de la gaine d’aération
sur ton petit dessin ? C’est bien.
Fin de la digression
— Non.
— Non.
— Si.
On n’est pas assez. Tu le dis toi-même. On rentre. On demande des renforts. À
Vautrin. On refait le coup. Dans quelques jours. Cool.
— Non. Dans quelques jours, ce ne sera plus la nouvelle
lune, les Allemands sauront qu’on a volé les plans, et auront probablement, et
modifié leur installation, et renforcé leur sécurité. Pas cool. De toute façon,
on est là, on y va. Tu viens avec nous ?
— ok. Tranquille. Zéro problem. Ça roule.
— Bien.
Maintenant, qui fait quoi ? Monsieur Victor, tu sais grimper à un poteau
électrique ?
— Bien
sûr. Évident. Trop facile.
— Vaquette,
je peux te parler ?
— Bien
sûr, Bixente. Trop cool.
— Justement.
Seul à seul. Dehors.