Chapitre 13
:
Mission : Impossible

— La troisième et dernière chose qui nous amène en ces lieux est celle-ci

— La troisième et dernière chose qui nous amène en ces lieux est celle-ci. Je suis chargé de vous proposer une mission. Une mission d’une rare importance, d’une difficulté immense, une mission urgente, délicate, probablement déterminante quant à l’issue du conflit, une mission apparemment insurmontable, pour tous certainement, peut-être pas pour vous, du moins est-ce notre espoir.

Les Allemands s’apprêtent à mettre au point un missile révolutionnaire à très longue portée dont la précision pourrait atteindre cinq mètres après mille kilomètres de vol. Je suppose qu’il est inutile de vous décrire ce que simplement quelques centaines de ces engins judicieusement dirigés pourraient faire comme dégâts. Contrairement à l’idée commune, la guerre est loin d’être gagnée, et les Allemands savent que tous leurs espoirs résident dans la mise au point de telles armes qui, à elles seules, pourraient faire basculer le conflit. D’après le peu d’informations que nous avons pu réunir, le projet étant bien sûr développé dans le plus grand secret, la mise au point d’un premier prototype opérationnel serait imminente, il s’agirait d’une question de semaines, peut-être même de jours. Nous avons, pendant près d’un an, cherché à localiser le projet en Allemagne, avant de nous rendre compte qu’il était sous notre nez, à quatre-vingts kilomètres d’ici, là exactement (il me tend une carte d’état-major, quelques plans et plusieurs photos aériennes).

Comme vous pouvez le constater sur ces photos, il s’agit d’un immense bunker enterré qui rend tout bombardement aérien inutile. De plus, leur système de défense est extrêmement, et ingénieux, et conséquent, ce qui nous a interdit toute opération terrestre jusqu’à présent. Bien sûr, nous pourrions attendre qu’ils sortent un premier prototype du bunker afin de le tester, et le détruire alors par un bombardement immédiat et massif, mais, outre que cette solution est aléatoire, elle risque surtout d’être infiniment trop tardive, le projet ayant de grandes chances d’être alors pratiquement finalisé.

Digression

Ami lecteur, prends un papier, un crayon, et, à partir de maintenant, fais un petit dessin de ce qui va suivre, cela devrait beaucoup t’aider lors des prochains chapitres. Et puis, envoies-en aussi une copie à l’IndispensablE qui fera, sur www.vaquette.org, un concours du dessin le plus réussi.

Fin de la digression

— Revenons à leur système défensif. Le bunker souterrain est entouré d’un fossé de cinq mètres de large rempli d’eau sur une profondeur que nous ne pouvons déterminer sur les vues aériennes. Le tout est situé dans l’enceinte d’un camp militaire dans lequel réside en permanence une cinquantaine d’hommes chargés de sa protection, et clos par une double rangée de barbelés. Jusque-là, rien qu’un commando d’élite tel que le vôtre ne puisse franchir. Là où les choses se compliquent, c’est que ce camp est lui-même protégé. À l’ouest, par une rivière qui alimente le fossé, d’une largeur de quinze mètres, et d’une profondeur de cinq mètres par endroits en cette saison où des courants très vifs la rendent non navigable, même par une embarcation individuelle ; le long des deux rives, ainsi que transversalement cinquante mètres en amont et en aval du camp, des filins électrifiés achèvent d’interdire tout passage. À l’est, au nord et au sud, sur une distance de cinq cents mètres, par un terrain de rocaille non carrossable et totalement à découvert, n’offrant pour seul abri, ici, à cent mètres au sud sud-est du camp que deux arbres et quelques buissons sur une vingtaine de mètres carrés. Peut-être y dissimulent-ils un accès de secours au bunker ? peut-être est-ce simplement un leurre, un défi digne d’un esprit comme le vôtre, qui semble suggérer : venez, osez, vous pourrez toujours vous cacher là, simplement là, cela serait drôle, non ?

Ajout

Ami lecteur, pour réaliser ton dessin parfaitement à l’échelle, il te manque encore quelques informations, les voici. Le bunker de recherche est un rectangle orienté nord-sud de 400 mètres carrés (28,51 sur 14,03 mètres). Le camp est un carré de 68,14 mètres de côté. Le périmètre à découvert, enfin, est lui aussi un carré (la précision est utile) de 500 mètres de côté (mais ça, tu l’as déjà noté).

Fin de l’ajout

— Vous n’êtes toujours pas dissuadé ? Je continue. La clef de voûte de leur système de défense, la voici. Le terrain est en pente. À trois cents mètres à l’est du camp, dans le périmètre à découvert, il y a une colline qui domine et contrôle les alentours. À son sommet, un nouveau bunker de dix mètres carrés enterré. Autour et dessus, deux mitrailleuses pivotant à trois cent soixante degrés sur leur socle, et une batterie dca puissante qui rend toute opération aéroportée suicidaire, enfin, surtout, vous écoutez encore ? une vingtaine de projecteurs mobiles de grande puissance, qui, de nuit, éclairent comme en plein jour la totalité du périmètre jusqu’à la rive opposée de la rivière. J’ajoute, comme nous le voyons sur cette photo, que le camp possède au nord une unique entrée, protégée par une barrière, un poste de garde et deux miradors, reliée au monde par cette seule route qui rejoint, ici, derrière la colline, cette départementale. Bien sûr, l’ensemble du périmètre à découvert est clos pour éviter les éventuels « touristes », mais cela est évidemment un détail pour vous, un point de détail, non ?

Une information importante encore. Aucune de nos observations ne nous a laissé entrevoir le moindre fil électrique. Par où est alimentée leur installation ? personne ne peut nous le dire. En revanche, nous avons la quasi-certitude que cette réponse, ainsi que beaucoup d’autres, se trouve sur les plans techniques détaillés du site qui sont conservés dans le coffre-fort de la kommandantur régionale que vous connaissez bien pour l’avoir investie déjà à deux reprises.

Votre mission, si vous l’acceptez, consiste à poser sur le missile une bombe à retardement qui, une fois placée magnétiquement sur sa cible, ne peut être retirée sans exploser. Sa charge, additionnée à celle du missile, devrait suffire à détruire la totalité du centre de recherche de l’intérieur avec ses occupants, et, par là même, les espoirs de réussite du programme allemand. Comment pénétrer dans le périmètre de sécurité, puis, dans le camp et dans le bunker, vous l’avez compris je pense, je n’en ai absolument aucune idée, si tant est que cette idée existe.

Dans l’hypothèse où vous accepteriez, je vous adjoindrais pour vous seconder un homme d’élite qui nous a rejoints à Londres il y a quelques mois, et qui, auparavant, avait signé, sous le nom de Victor Hugo, seul ou avec différents groupes d’action, dont certains issus des réseaux communistes, quelques opérations d’éclat dont le prestige et l’héroïsme vous sont sûrement parvenus jusqu’aux oreilles (il me cite alors une dizaine de missions parmi les plus brillantes que la Résistance française – et moi-même – ait connues).

Enfin, toujours dans l’hypothèse où vous accepteriez, nous vous fournirions la bombe, des explosifs, tout l’armement que vous jugerez nécessaire, ainsi qu’un rapatriement sur Londres par avion la nuit même de votre opération, la nuit suivante si vous décidiez d’intervenir de jour, puisque, avec vous, sans doute, tout est possible, peut-être même cette mission. Je vous laisse réfléchir, en discuter avec vos compagnons d’armes, et vous attends ici, demain soir, pour me donner votre réponse de vive voix.

— Inutile. La réponse est oui, bien sûr.

— Vous ne demandez pas l’avis de M Legrand, de M. Majakovic ?

— Je jure qu’ils sont d’accord. De toute façon, une femme et un immigré, ça n’a pas le droit de vote, ça ferme sa gueule.

Il sourit.

— Faites attention à vous, à la Libération, on pourrait bien vous fusiller pour moins que ça.

— Vous croyez ?

— Non, j’espère que non. Ah ! une dernière chose, que vous allez juger ridicule. La France est fière de vous. Riez. À titre personnel, je suis heureux de vous avoir rencontré. Bonne chance. À bientôt.

Il ne me pince pas l’oreille, tant mieux. Moi, je lui serre la main, non sans lui avoir préalablement demandé de nous envoyer, après-demain soir, son héros, poète romantique et pompier, avec la bombe, les explosifs et les armes. Deux hommes, deux autres, me raccompagnent chez moi, ma médaille, mes galons, les plans et les photos dans la poche, et, dans la tête, une seule idée : le lieutenant Vaquette est pas dans la merde.