Chapitre 10
:
Nique la gendarmerie

Il a raison cet étrange petit bonhomme, je n’aurais pas dit mieux, mais, il est gentil, il ne me parle pas comme ça, pas à moi

Il a raison cet étrange petit bonhomme, je n’aurais pas dit mieux, mais, il est gentil, il ne me parle pas comme ça, pas à moi. Qu’il crache sur ses navrants contemporains, je l’en félicite, lui apporte mon inconditionnel soutien dans sa quête de grandeur, de beauté, à la condition pourtant qu’il m’exclue, sinon par la pensée, du moins par la parole, de son mépris lucide et misanthrope. Voilà comment la plupart raisonnent, non, voilà comment tous réagissent (je le sais, oh oui ! cela rend ma relation sociale si difficile), tous, sauf moi bien sûr. Crache-moi dessus tu verras Montmartre, crache-moi dessus.

Digression

Ne mens jamais. C’était le titre premier de ce roman. Je ne sais plus qui a écrit ou dit (Brel peut-être ?) «  Les gens mentent de peur. » Ils sont résistants, par amour de la patrie, de l’homme, de la justice ou de la liberté, que sais-je encore ? et oui, ils y croient, et oui, ils sont sincères, mais bêtes, et lâches aussi (c’est une autre de mes chansons ça, Sincère mais bête, un autre de mes tubes pardon, et je vais vous en parler beaucoup).

Fin de la digression

Il m’a dessillé le cher homme, levant froidement le mensonge, l’hypocrisie derrière laquelle j’aurais pu m’abriter. Brutalement, il a détruit une illusion qui, pour tout autre, eût été confortable. M’en fous, petit déjà, mon héros dans les livres, dans les films, c’était le méchant, celui qui combat le bien, l’ordre, la société, le bon droit de mes camarades de classe, de mes profs, des pétainistes qui crieront bientôt « Vive de Gaulle ! » – celui qui perd toujours à la fin.

Digression

Quelle époque bénie pour un auteur : me voilà contre, et pourtant pour. Place ce roman ici et aujourd’hui (on dirait du Goldman, non ?), et pour être contre à l’égal, j’entends vraiment contre, il me faudrait me faire néonazi ou terroriste islamiste, c’est plus problématique, n’est-ce pas ?

Fin de la digression

J’ai fait demi-tour, roulé une dizaine de kilomètres, au hasard, évitant les grands axes, récupéré les armes, précipité la voiture au fond d’un cours d’eau suffisamment profond, et marché jusqu’à un grand village, une petite ville, un bourg.

Quelques jours plus tard, Artémise et Bixente venaient me rejoindre à l’hôtel où j’étais descendu (sous une fausse identité), non sans avoir préalablement vérifié que la police ne m’avait pas identifié. Je leur ai offert à chacun un revolver, mais le vrai cadeau, bien sûr, c’était mon accord tacite pour passer – enfin ! – à la lutte armée. Ils étaient heureux, oui, libérés, tout de même un peu jaloux que j’aie commencé sans eux. Nous décidâmes alors, dans un premier temps, de nous fournir en armes un peu plus sérieusement. Nous jetâmes notre dévolu sur une gendarmerie de campagne particulièrement isolée, a priori mieux fournie qu’une armurerie, mais moins risquée qu’une caserne ou qu’un poste de police en ville, et puis, si nous étions amenés à occire quelque être humain (car d’une commune évidence, poussés par le désir d’obtenir pour ce roman un article dans La Croix, nous édictâmes comme règle de préserver des vies autant que faire se peut), un gendarme, à la fois flic et militaire, nous semblait, outre un moindre mal, un bon moyen d’obtenir également la rubrique « copinage » de Charlie Hebdo – un militaire félon, précise Artémise qui tient aussi à un portrait dans le Figaro Madame par Nicolas Rey.

Ajout

J’ai un doute brutalement, ami lecteur, lorsque je dis « contre et pourtant pour », on comprend bien « contre le pouvoir, et pour des idées (marginales alors) que je partage », et pas une légitimation insidieuse du néonazisme ou du terrorisme islamiste aujourd’hui ? Si oui, cet ajout est regrettable. Bon d’accord, je le regrette.

Fin de l’ajout

Le lendemain soir, dans la pénombre d’une nuit sans lune, Didier Wampas apparaît : ce soir les enfants, ce soir, c’est Noël. Oui, dans moins d’une heure, nous serons le 25 décembre 1941. Nous observons depuis un long moment cette bâtisse faiblement éclairée, petite, et calme. La première ferme est au loin, autour : rien. À l’extérieur, un planton, son fusil posé à côté de la porte, grille de temps en temps une cigarette, puis s’ennuie, puis grille une autre cigarette. Grâce à nous – nous remerciera-t-il seulement ? – il aura quelque chose à raconter demain à sa femme. À l’intérieur, par la fenêtre, nous n’identifions que deux hommes qui jouent aux cartes. C’est tout. Ni barbelés, ni mitrailleuses, ni projecteurs, quant au dernier berger allemand, il s’est fait dévorer par un pitt-bull, dopé à l’epo et euthanasié depuis pour avoir égorgé une vieille ou un gosse maghrébin.

Je m’éloigne, grimpe à un poteau téléphonique, sectionne le fil, redescends. Nous approchons alors, le visage masqué par des passe-montagnes, moi contre le mur, agenouillé à quelques mètres à droite du planton, Artémise et Bixente symétriquement à gauche.

La première fois qu’on saute en parachute, on prend une grande respiration, on fait taire sa raison, on se jette dans le vide, et, immédiatement après, on se demande ce qu’on a bien pu faire, trop tard. Bixente attend que l’homme lui tourne le dos, se jette sur lui, une main sur sa bouche, l’autre sur le pistolet qu’il braque dans ses reins : « Bouge pas. » Au même instant, j’ouvre la porte, dirige mon arme vers les deux fonctionnaires : « On se fixe. »

Voilà. C’est tout.

Ajout

Ami lecteur, l’IndispensablE t’a prévenu, n’est-il pas ? l’action romanesque ne débute que chapitre 12 – patience.

Fin de l’ajout

Les deux hommes ne bougent pas, c’est à peine si une stupeur béate se lit sur leur visage : ils vont comprendre, sans doute, mais dans un long moment. Avec beaucoup d’esprit et l’écoute répétée de Brank Shme Bleu, ils auraient pu noter mon entrée par un laconique « repassez dans une heure, je finis Tomb Raider », mais les gens sont décevants, Lara Croft, pardon, Artémise entre, il ne se passe rien, toujours rien, si ce n’est le planton qui apparaît, suivi par Bixente.

— L’armurerie ?

— Elle est là.

— Les clefs ?

— Voilà.

J’ouvre. Cinq fusils, vieux et français, trois revolvers, deux pistolets, quelques munitions, et dix grenades. C’est tout. La prochaine fois, nous attaquerons les Allemands.

Nous désarmons les gendarmes, les enfermons dans leur placard, leur armurerie pardon, chargeons notre maigre butin dans leur unique véhicule, et démarrons.

Nous sommes bizarres. À la fois évidemment heureux, que tout se soit si bien passé bien sûr, surtout de l’avoir fait, d’avoir franchi le pas, et puis, malgré tout, terriblement insatisfaits, frustrés qu’un dénouement si bref ne nous ait pas fourni un exutoire à l’égal de notre attente merveilleuse qui nous eût permis seul de nous décharger tout à fait – probablement d’ailleurs est-ce le lot des premières fois. Nous avons fêté brièvement Noël, tous les trois, puis nous sommes rentrés chez nous, avec nos armes, notre orgueil, notre ambition encore inassouvie, notre victoire surtout.

Moi, je me suis couché très tard, et, cette nuit-là, dans la forêt profonde, sur le chemin du nord, au détour d’une plante à peine urticante, une ortie perdue là en pleine forêt vierge, je découvris un simple panneau sur lequel était écrit : « Départ. »

Ajout

Dis-moi Vaquette, ton « contre pourtant pour », n’est-ce pas aussi un mensonge ? Si, probablement. Probablement aussi ne peut-on s’en passer. Disons que celui-là me sied mieux qu’un simple « pour », un trop simple « pour ».