Il a
raison cet étrange petit bonhomme, je n’aurais pas dit mieux, mais, il est
gentil, il ne me parle pas comme ça, pas à moi. Qu’il crache sur ses navrants
contemporains, je l’en félicite, lui apporte mon inconditionnel soutien dans sa
quête de grandeur, de beauté, à la condition pourtant qu’il m’exclue, sinon par
la pensée, du moins par la parole, de son mépris lucide et misanthrope. Voilà
comment la plupart raisonnent, non, voilà comment tous réagissent (je le sais,
oh oui ! cela rend ma relation sociale si difficile), tous, sauf moi bien
sûr. Crache-moi dessus tu verras Montmartre, crache-moi dessus.
Digression
Ne
mens jamais. C’était le titre premier de ce roman. Je ne sais plus qui a
écrit ou dit (Brel peut-être ?) « Les gens mentent de peur. »
Ils sont résistants, par amour de la patrie, de l’homme, de la justice ou de la
liberté, que sais-je encore ? et oui, ils y croient, et oui, ils sont
sincères, mais bêtes, et lâches aussi (c’est une autre de mes chansons ça, Sincère
mais bête, un autre de mes tubes pardon, et je vais vous en parler
beaucoup).
Fin de la digression
Il m’a
dessillé le cher homme, levant froidement le mensonge, l’hypocrisie derrière
laquelle j’aurais pu m’abriter. Brutalement, il a détruit une illusion qui,
pour tout autre, eût été confortable. M’en fous, petit déjà, mon héros dans les
livres, dans les films, c’était le méchant, celui qui combat le bien, l’ordre,
la société, le bon droit de mes camarades de classe, de mes profs, des
pétainistes qui crieront bientôt « Vive de Gaulle ! » – celui
qui perd toujours à la fin.
Digression
Quelle époque bénie pour un auteur : me voilà
contre, et pourtant pour. Place ce roman ici et aujourd’hui (on dirait du
Goldman, non ?), et pour être contre à l’égal, j’entends vraiment contre,
il me faudrait me faire néonazi ou terroriste islamiste, c’est plus
problématique, n’est-ce pas ?
Fin de la digression
J’ai
fait demi-tour, roulé une dizaine de kilomètres, au hasard, évitant les grands
axes, récupéré les armes, précipité la voiture au fond d’un cours d’eau
suffisamment profond, et marché jusqu’à un grand village, une petite ville, un
bourg.
Quelques
jours plus tard, Artémise et Bixente venaient me rejoindre à l’hôtel où j’étais
descendu (sous une fausse identité), non sans avoir préalablement vérifié que
la police ne m’avait pas identifié. Je leur ai offert à chacun un revolver,
mais le vrai cadeau, bien sûr, c’était mon accord tacite pour passer –
enfin ! – à la lutte armée. Ils étaient heureux, oui, libérés, tout de
même un peu jaloux que j’aie commencé sans eux. Nous décidâmes alors, dans un premier
temps, de nous fournir en armes un peu plus sérieusement. Nous jetâmes notre
dévolu sur une gendarmerie de campagne particulièrement isolée, a priori mieux
fournie qu’une armurerie, mais moins risquée qu’une caserne ou qu’un poste de
police en ville, et puis, si nous étions amenés à occire quelque être humain
(car d’une commune évidence, poussés par le désir d’obtenir pour ce roman un
article dans La Croix, nous édictâmes comme règle de préserver des vies
autant que faire se peut), un gendarme, à la fois flic et militaire, nous
semblait, outre un moindre mal, un bon moyen d’obtenir également la rubrique
« copinage » de Charlie Hebdo – un militaire félon, précise
Artémise qui tient aussi à un portrait dans le Figaro Madame par Nicolas
Rey.
Ajout
J’ai
un doute brutalement, ami lecteur, lorsque je dis « contre et pourtant
pour », on comprend bien « contre le pouvoir, et pour des idées
(marginales alors) que je partage », et pas une légitimation insidieuse du
néonazisme ou du terrorisme islamiste aujourd’hui ? Si oui, cet ajout est
regrettable. Bon d’accord, je le regrette.
Fin de l’ajout
Le
lendemain soir, dans la pénombre d’une nuit sans lune, Didier Wampas
apparaît : ce soir les enfants, ce soir, c’est Noël. Oui, dans moins d’une
heure, nous serons le 25 décembre 1941. Nous observons depuis un long moment
cette bâtisse faiblement éclairée, petite, et calme. La première ferme est au
loin, autour : rien. À l’extérieur, un planton, son fusil posé à côté de
la porte, grille de temps en temps une cigarette, puis s’ennuie, puis grille
une autre cigarette. Grâce à nous – nous remerciera-t-il seulement ? – il
aura quelque chose à raconter demain à sa femme. À l’intérieur, par la fenêtre,
nous n’identifions que deux hommes qui jouent aux cartes. C’est tout. Ni barbelés,
ni mitrailleuses, ni projecteurs, quant au dernier berger allemand, il s’est
fait dévorer par un pitt-bull, dopé à l’epo
et euthanasié depuis pour avoir égorgé une vieille ou un gosse maghrébin.
Je
m’éloigne, grimpe à un poteau téléphonique, sectionne le fil, redescends. Nous
approchons alors, le visage masqué par des passe-montagnes, moi contre le mur,
agenouillé à quelques mètres à droite du planton, Artémise et Bixente
symétriquement à gauche.
La
première fois qu’on saute en parachute, on prend une grande respiration, on
fait taire sa raison, on se jette dans le vide, et, immédiatement après, on se
demande ce qu’on a bien pu faire, trop tard. Bixente attend que l’homme lui
tourne le dos, se jette sur lui, une main sur sa bouche, l’autre sur le
pistolet qu’il braque dans ses reins : « Bouge pas. » Au même
instant, j’ouvre la porte, dirige mon arme vers les deux fonctionnaires :
« On se fixe. »
Voilà.
C’est tout.
Ajout
Ami lecteur, l’IndispensablE t’a prévenu, n’est-il
pas ? l’action romanesque ne débute que chapitre 12 – patience.
Fin de l’ajout
Les
deux hommes ne bougent pas, c’est à peine si une stupeur béate se lit sur leur
visage : ils vont comprendre, sans doute, mais dans un long moment. Avec
beaucoup d’esprit et l’écoute répétée de Brank Shme Bleu, ils auraient
pu noter mon entrée par un laconique « repassez dans une heure, je finis Tomb
Raider », mais les gens sont décevants, Lara Croft, pardon, Artémise
entre, il ne se passe rien, toujours rien, si ce n’est le planton qui apparaît,
suivi par Bixente.
— L’armurerie ?
— Elle
est là.
— Les
clefs ?
— Voilà.
J’ouvre. Cinq fusils, vieux et français, trois
revolvers, deux pistolets, quelques munitions, et dix grenades. C’est tout. La
prochaine fois, nous attaquerons les Allemands.
Nous
désarmons les gendarmes, les enfermons dans leur placard, leur armurerie
pardon, chargeons notre maigre butin dans leur unique véhicule, et démarrons.
Nous
sommes bizarres. À la fois évidemment heureux, que tout se soit si bien passé
bien sûr, surtout de l’avoir fait, d’avoir franchi le pas, et puis, malgré
tout, terriblement insatisfaits, frustrés qu’un dénouement si bref ne nous ait
pas fourni un exutoire à l’égal de notre attente merveilleuse qui nous eût
permis seul de nous décharger tout à fait – probablement d’ailleurs est-ce le
lot des premières fois. Nous avons fêté brièvement Noël, tous les trois, puis
nous sommes rentrés chez nous, avec nos armes, notre orgueil, notre ambition
encore inassouvie, notre victoire surtout.
Moi, je me suis couché très tard, et, cette nuit-là,
dans la forêt profonde, sur le chemin du nord, au détour d’une plante à peine
urticante, une ortie perdue là en pleine forêt vierge, je découvris un simple
panneau sur lequel était écrit : « Départ. »
Ajout
Dis-moi Vaquette, ton « contre pourtant
pour », n’est-ce pas aussi un mensonge ? Si, probablement.
Probablement aussi ne peut-on s’en passer. Disons que celui-là me sied mieux
qu’un simple « pour », un trop simple « pour ».