Ami-camarade adorateur du Grand Mythe Vaquettien,
Laissez-moi vous narrer une anecdote édifiante – Je serais psychanalyste ou journaliste au Canard enchaîné, j’écrirais probablement édi-fiente – dont le titre pourrait être "Comment la censure vint aux (sous-) hommes."
Tout avait bien commencé pourtant.
Je revenais de Lille sans passer par la Lorraine mais avec mes (gros) sabots (Si ! vous allez voir, les gros sabots ont leur importance) où mon spectacle s’était merveilleusement bien passé (Tenez, j’en profite pour faire un amical coucou à Pierre et à Thomas) (Et puis, pendant que nous y sommes, sachez que ma date à Marseille s’est également fort bien passée, rendez-vous compte ! des adorateurs du Grand Mythe Vaquettien sont venus de Montpellier, Nîmes, Toulon, Toulouse même ! pour m’acclamer, là encore un reconnaissant coucou à Pascale Giaj aka FamFinale qui a porté cette date à bout de bras – mais elle est MerveilleusE ma metteur en scène, vous l’ai-je déjà dit ?), oui donc, je revenais de Lille enthousiaste et là, pris d’un désir irrépressible, pratiquement un devoir, d’assister à une projection du dernier film de Pierre Carles ("Choron dernière") qu’il aurait été inimaginable de voir programmé dans ma campagne fort peu perméable à la culture alternative, je fis un crochet, un arrêt plutôt (c’est pile poil sur le chemin) dans notre belle capitale.
Je passe donc la nuit dans mon hôtel particulier de l’Île Saint-Louis, me lève dès potron-minet (15 h), me prépare avec la promptitude qui toujours m’habite le matin pour descendre vaillamment dès 18h mes sept étages sans ascenseur et traverser la Goutte d’or jusqu’au métro Château rouge (Oooops ! je m’ai trahi !) sans même savoir que nous sommes le jour de la grande grève nationale qui bloque tout Paris. Et là, vous vous dites : "Problem !" Et bien non, pas même, j’arrive sur le quai, une rame apparaît, peut-être la seule de la journée, et je fais le trajet jusqu’à Saint-Michel (Oui, je me dis que si ça doit être encore joué quelque part dans Paris, gageons que ce soit dans le Quartier latin (parce que, j’ai oublié de préciser ce point, je n’ai pas Internet dans mon hôtel (très) particulier et conséquemment j’ignore tout des horaires de cinéma)) à peu près seul dans la rame, la grève ayant manifestement épuisé la patience de mes concitoyens.
Je sors du métro, et là, devant mes yeux ébahis par tant de surnaturelle magie, le film en question se joue un quart d’heure plus tard, avec, tenez-vous bien ! un débat qui le prolonge en présence de Pierre Carles en personne. Mais ce n’est pas tout (Je vous jure que tout ceci est exact (à l’exception peut-être de l’hôtel particulier, mais, sagaces comme vous l’êtes, vous l’aviez assurément deviné)), là-dessus, la productrice me tombe dessus (Ils me considèrent comme l’un des trois, avec Costes (et Bernard Blancan), dans la lignée de Choron aujourd’hui : les cauteleux peuvent vérifier sur la page de liens de choronderniere.com – je sais, ça vous pose un homme), me présente chaudement à Pierre Carles (dont je suis fan, vous l’ai-je précisé ou cela vous semblait une évidence ?) et m’invite à la projection – Oui, oui, comme une vraie reusta.
Avouez que cet enchaînement est proprement IncroyablE et, si je n’irais pas jusqu’à dire que ce fut un conte de fée (Je n’ai tout de même pas niqué Olivia Bonamy dans les toilettes du cinéma – Ah ! Olivia ! Si tu fais un jour (ou même une nuit, jusqu’à tard, très tard même, n’hésite pas) une recherche Google sur ton nom et que tu tombes par hasard sur cette Encyclique, appelle-moi à l’instant, je t’aime !), je fus néanmoins transporté par l’idée que le désenvoutement pratiqué à la Noël par l’illustrissime professeur Mamadou N’Gogo Diakhaby Baraka avait porté ses fruits et que la chance brillait de nouveau sur moi de ses mille et un feux sans même parler de mes nombreuses maîtresses qui allaient (encore plus, vous imaginez ?) me courir après comme le petit chien derrière son maître – confessez-le, vous auriez pensé pareil.
Je regarde le film (Merveilleux bien sûr, courez-y si vous l’avez raté) et, à l’instant du débat, je m’assois tout au fond de la salle en jurant mes grands dieux de ne pas excessivement faire mon Vaquette pour ne pas phagocyter le travail d’un des rares collègues que je respecte.
Seulement voilà, s’installent alors au côté de Pierre Carles pour répondre aux questions, deux rédacteurs de "Siné Hebdo" : c’est à cet instant que tout a basculé.
Je me lève, leur demande avec l’élégance, le tact, la mesure qui me sont si coutumiers (mes gros sabots, donc – je vous avais promis d’y revenir), ce qu’ils peuvent bien faire là, tant leur journal, ni plus ni moins que "Charlie Hebdo" d’ailleurs (Je parle de celui d’aujourd’hui bien sûr, celui de Val), ne peut prétendre à la moindre parenté avec l’irrévérence d’un Choron, j’ajoute que la seule saillie drolatique dont a fait preuve leur publication (mais c’est vrai qu’elle est terriblement drôle, celle-là), c’est de prétendre à la moindre subversion, à la moindre radicalité avec Isabelle Alonso, Christophe Alévêque ou Guy Bedos dans l’équipe et je termine, MagnifiquE, par une envolée lyrique sur le mode "Siné Hebdo m’a tuer" en m’écroulant au sol dans un immense fracas et des cris de douleurs.
Mais ma chance avait tourné et mon doigt s’est retrouvé coincé entre le sol et une chaise emportée là par ma ferveur et, putain, bordel, chiotte, j’ai chouiné veugra (mais avec dignité, comptez sur moi : pas un n’a vu ne serait-ce que le rictus de la douleur sur mon visage altier) tandis que mon doigt mimait l’éléphantiasis tout en se parant de la couleur du deuil (Pour ceux qui seraient insuffisamment sensibles à la poésie, ça veut dire qu’en plus d’être devenu gros comme la bite à Rocco Siffredi, mon doigt s’est retrouvé méchamment noir comme celle de Barack Obama.) Remarquez, le hasard qui fait bien les choses a meurtri mon majeur et, en l’espèce, je peux dire qu’à mon corps défendant j’ai fait un gros doigt à ces gens.
Mais passons ! Ce ne serait que cette péripétie médicale, je vous aurais fait grâce de cette anecdote, d’ailleurs, à côté de ma récente électrocution, j’aurais eu l’impression de faire terriblement faible avec un doigt (presque pas) cassé. Non, c’est la suite, ou plutôt la conclusion de cette histoire qui est édifiante. Promis, j’y viens vite.
À ma grande surprise car, malgré l’âge, j’ai su rester naïf, les rédacteurs de "Siné Hebdo", au lieu de reconnaître la simple vérité et de la jouer "Rassure-toi coco, on n’est pas dupe mais trouver des piges dans la presse à notre époque, c’est pas tous les jours facile, tu me comprends ?", se mettent à monter sur leurs grands chevaux, enfin, leurs petits chevaux pour m’expliquer que, non, tout de même, on ne peut pas dire ça, "Siné Hebdo" ce n’est pas comme "Charlie", c’est incomparablement plus radical, etc. etc. etc., pauvres garçons se croyant obligés, comme tout bon petit employé de bureau qui se respecte (?), de montrer les dents lorsqu’on attaque les biens de leur maître – Vous avez parfaitement compris, je viens de les traiter de chiens.
Je vous avais parlé en introduction d’anecdote édifiante, et bien, voici la première édification : même dans nos beaux métiers des arts et du spectacle, même dans notre beau milieu prétendument "libertaire, contestataire, subversif…", comme à la Poste ou chez PSA, la soumission à la hiérarchie est une condition nécessaire, probablement même la première, de la réussite. J’ai écrit il y a dix ans "Je gagne toujours à la fin", aujourd’hui, je n’y crois plus : je l’avoue sans fausse pudeur, je suis, strictement, désespéré.
Vous ne me croirez peut-être pas, ou bien vous me prendrez pour un fou (et là, vous aurez peut-être raison), mais je pensais jadis, avec une absolue candeur, que le monde appartenait à ceux qui osaient écrire "Mon éditeur est un enculé" après avoir signé dans une maison d’édition et pas à ceux qui répétaient sans relâche à l’éditrice en question qu’elle était merveilleuse et qui, eux, se condamnaient à n’être toute leur vie que des courtisans subalternes. Et bien, depuis, j’ai appris que ce n’était rien d’autre qu’une chimère, un conte qu’on apprend aux enfants, un de ceux dans lesquels le héros plein de courage triomphe des fourbes, des lâches et des méchants, peut-être parce que si on les élevait dès leur plus jeune âge dans le cynisme qui régit l’ordre social, leurs parents trembleraient chaque jour de peur qu’ils les assassinent. Je ne développe pas ce point exagérément, ce sera le sujet de mon deuxième massacre qui est en bonne voie (du moins dans ma tête, je ne m’y suis pas encore pratiquement attelé). En quelque sorte une Apologie de l’aigreur ou Comment je suis devenu désespéré.
Mais je poursuis mon histoire, je vous rassure, on touche à sa fin.
L’incident se clôt naturellement n’étant pas du genre à frapper des plus petits que moi (surtout avec un doigt cassé…) et je termine la soirée au restaurant avec Pierre Carles et l’équipe de production, et, ce n’aurait été la vive douleur à mon majeur, j’aurais absolument oublié sur l’heure cette péripétie trop content que j’étais de soigner un rien ma solitude en parlant boutique avec un des rares humains qui peut se targuer de partager avec moi une certaine expérimentation de, disons, la pratique professionnelle ambitieuse et intègre en milieu radical dans le monde merveilleux des arts et du spectacle français.
Et puis, une dizaine de jours plus tard (C’est la conclusion de mon anecdote – Ouf ! Nous y voilà enfin !), je reçois un mail de l’adorateur du Grand Mythe Vaquettien chargé d’organiser la venue de mon spectacle à Toulouse début avril m’apprenant que la salle qu’il avait trouvé sur place et qui avait accepté de me programmer, les Musicophages (aka la Médiathèque associative) pour ne pas la citer, lui faisait faux bond arguant, outre des désaccords ridicules et fastidieux à expliquer quant au rapport au poignon (Ah ! Les pseudo-alternatifs, dès qu’on parle de fric sans complexe, on croirait des pucelles qui ne rêvent que de se faire fourrer mais qui s’offusquent à la moindre évocation en public d’une bite en érection ! – Voilà, c’est exactement ça, je ne pouvais pas mieux résumer leur position que par cette allégorie empreinte d’une grâce toute poétique), cet argument à leurs yeux rédhibitoire que je vous livre in extenso, du moins ne m’accusera-t-on pas de mentir (déjà que j’ose livrer à la vue de tous et sans scrupules un extrait d’une correspondance professionnelle – définitivement Pierre Carles a une mauvaise influence sur moi) :
"Comme je te l'ai dit dés le début, les autres personnes de l'asso qui s'occupent habituellement de la prog des rencontres musicales aux musicophages étaient bcp + réservées sur cette proposition de faire passer Vaquette ici... Moi comme je te l'avais dit, j'étais curieux... mais j'ai eut récemment de mauvais échos des interventions de Vaquette lors de la projection-débat du film sur Choron à Paris il y a peu... Bref, j'ai pas envie de me prendre la tête et plutot que d'aller vers un
plantage, je préfère te dire que ça nous branche plus."
C’est là qu’intervient la seconde édification (qui n’est finalement, à bien regarder, qu’une déclinaison de la première) : j’aurais fermé ma gueule, ou, mieux, j’aurais trouvé "Siné Hebdo" tellement mieux que "Charlie" ! Tellement plus cool ! Tellement plus radical ! Tellement plus neuf ! Que sais-je encore ? Ma date à Toulouse n’aurait jamais été censurée, annulée pardon.
Vous remarquerez d’ailleurs que, dans ce cas d’école, il ne s’agit nullement d’un débat d’idées, de savoir si j’ai raison ou tort, je veux dire que cracher sur le "Charlie Hebdo" actuel pour son manque de radicalité implique nécessairement, évidemment de cracher à l’égal et pour les mêmes raisons sur "Siné Hebdo", il faut être aveugle ou imbécile ou malhonnête pour ne pas me le concéder et, quoi qu’il en soit, il n’y a pas un abîme idéologique si gigantesque entre ces deux positions qui pourrait justifier qu’on m’interdise de jouer dans une salle, non ! il s’agit, comme toujours, de choisir son camp, et malheur à qui refuse de s’engager à l’instant le petit doigt sur la couture du pantalon ! Cracher sur "Charlie" (et Dieu sait que je ne m’en prive pas) implique nécessairement de soutenir son concurrent ou bien alors on se met tout le monde à dos. Désespérément, rien n’a changé depuis Télémaque : "Des services ! des talents ! du mérite ! Bah ! Soyez d’une coterie !"
Je veux dire deux choses. La première c’est que, même chez ceux qui se prétendent rebelles, contestataires, alternatifs… la certitude est une valeur infiniment plus prisée que le doute et que, conséquemment, la seule finalité de leur pensée débile (au sens originel de "manque de vigueur") est d’obtenir la certitude d’être dans le bon camp. Il y a quinze ans, ils regardaient "Les Guignols de l’info" en se disant qu’ils étaient tout de même beaucoup plus intelligents que les beaufs vissés devant TF1, par la suite ils ont lu "Charlie Hebdo" toujours certains d’être terriblement plus cools et ouverts que les lecteurs du Figaro et aujourd’hui ils lisent "Siné Hebdo" contre "Charlie" toujours certains que cela suffit à leur donner une quelconque consistance. La deuxième chose que je veux dire, c’est que, si on refuse, simplement par lucidité et courage, comme dans les contes pour enfants, toujours, de participer à ce pathétique jeu de rôle qui consiste à trouver tous ceux de son clan "Merveilleux, mon chéri !" sans discernement ni sens critique, alors on n’est pas vu comme un être iconoclaste dont la différence, dont l’exigence et la franchise sont des richesses, non, on est brutalement mis à la porte du cercle social, que ce cercle soit celui, je le répète, de la Poste ou de PSA, ou ceux tout aussi conformistes de la culture alternative.
Putain ! J’en ai des choses à vous raconter dans mon deuxième massacre… Patience !
En attendant, je vous dis à bientôt, tous, sur scène, en Belgique très vite, puis à Nancy, à Clermont-Ferrand ou ailleurs (en Alsace, en Suisse de nouveau, à Rennes, à Périgueux, à Montpellier… tout ça est plus ou moins dans les tuyaux, à suivre…) – et peut-être même à Toulouse, un jour,
Crevez tous,
L’IndispensablE
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